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Hippolyte Carnot - 1801-1888

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Rémi Dalisson

Partie II. Du ministère au coup d'État : espoir social & projets (1848-1851)

Les réformes scolaires avortées (mai-juin 1848)

Texte intégral

  • 1 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.
  • 2 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 12 et 24.
  • 3 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 23
  • 4 Rapport d’Hippolyte Carnot, le 6 mai 1848, dans Un député, Une famille républicaine, op. cit., p.  (...)

1Dès son arrivée au ministère, Carnot sait les résistances auxquelles il devra faire face. En partant d’une loi Guizot qu’il juge « bien plus insuffisante encore pour les besoins croissants de la population française1 » il se met immédiatement au travail. Sa première circulaire du 25 février donne le ton. Il entend d’abord s’attaquer aux fondations de l’édifice du savoir, l’enseignement primaire : « Je le dis avec insistance […] ce qui doit être le moins ajourné, c’est l’instruction du peuple. L’avenir de la République est là. […] Notre législation doit tendre à ce seul but : éclairer et moraliser par le droit à l’Instruction2. » Le rétablissement du suffrage universel a en outre montré l’urgence « d’éclairer les citoyens sur leurs droits et d’amener à l’Assemblée une représentation sincère de l’esprit et des intérêts de la France3 ». Une fois ce socle consolidé, Carnot s’attache au reste pour féconder toute la société : « L’enseignement est une magistrature dont l’action bienfaisante, féconde doit être […] égale, solidaire et véritablement universelle4. » Vaste programme qui nécessite l’instauration de nouveaux rapports avec l’Église qui renâcle à tout contrôle étatique sur l’instruction.

L’État et l’Église, nouveaux partenaires

2Sans revenir sur les principes qui guident l’action du ministre, tentons de comprendre la logique de ses réformes. Il commence par faire le bilan sans concession du passé :

  • 5 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8 et lettre au président de la Société pour l’instruction élém (...)

« On s’est occupé de l’Instruction primaire sous le gouvernement de Louis-Philippe. Il faut rendre justice à qui de droit. La loi de 1833, tout incomplète qu’elle soit, a donné de bons résultats, mais il faut aller plus loin. […] Elle fut un progrès sur l’état de choses précédent. Mais était-ce tout le progrès que pouvaient légitimement espérer les amis de l’instruction populaire ? […] Ses lacunes et ses défauts ont été maintes fois signalés : sur la situation des instituteurs, sur l’éducation des jeunes filles dans l’école et dans l’ouvroir [cours professionnel], sur les classes d’adultes et les salles d’asile, sur l’enseignement du chant et de la gymnastique, sur l’instruction civique5. »

3Il ajoute aux lacunes de la loi Guizot les campagnes où, « dans les villages, la mauvaise saison est la saison d’apprendre ; l’école se remplit au temps des jours courts, mais au temps des longs jours l’école se vide ». La durée de scolarité, jusqu’à douze ans pour les garçons, onze pour les filles pour répondre aux besoins de l’industrie, ne le satisfait pas non plus, tout comme la faible qualification exigée pour enseigner. Ainsi, pour encadrer des jeunes filles, une simple lettre d’obédience suffit. Quant au contrôle local, notamment religieux, exercé sur les enseignants, il le révolte tout autant.

4Il y a donc encore beaucoup à faire « pour définir l’Instruction primaire et […] l’élever au-dessus de son état actuel, car […] la République ne saurait souffrir sans dommage qu’un seul de ses enfants en soit privé ». Et seul l’État est de taille à répondre aux défis de la scolarisation, comme sous la Révolution :

  • 6 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 22-29 et notes sur la loi (...)

« Les lois de l’Instruction primaire nous sont toutes tracées par les immortelles déclarations de nos pères […]. Il faut organiser une éducation et instruction nationale donnée par le gouvernement, […] car l’État ne saurait abdiquer son devoir de protection sur les ignorants et de corriger les inégalités qui favorisent une partie de la population […] qui tend à s’attribuer les avantages sociaux à l’exclusion des autres6. »

5Mais l’État républicain n’a ni les moyens, ni peut-être l’envie de s’occuper seul de l’école. Il lui faut trouver un allié. La grande idée de Carnot est donc de réconcilier les pouvoirs civils et religieux, d’autant qu’il compte respecter cette liberté d’enseignement à laquelle tient tant l’Église. On retrouve là toute l’influence de ses engagements précédents et de sa piété diffuse, mâtinée de tolérance et de volonté consensuelle :

  • 7 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 37-38-44.

« J’ai jeté les yeux sur nos campagnes ; j’ai vu dans chaque village deux hommes admirablement placés pour favoriser ce résultat [éduquer le peuple], deux hommes qui vivent la vie du peuple, qui partagent les sentiments et ses intérêts […]. Ces deux hommes ce sont le curé et le maître d’école. […] Le ministre de la religion et le maître d’école sont les deux colonnes sur lesquelles soit s’appuyer l’édifice républicain […]. Comme ministre des Cultes, il m’était permis de parler aux curés par l’intermédiaire des évêques. […] Comme ministre de l’Instruction publique, mes droits étaient plus étendus, j’en ai usé7. »

  • 8 Voir Gérard Cholvy, La religion en France de la fin du xviiie à nos jours, Paris, Hachette-Sup, 19 (...)
  • 9 Fraternité est ajoutée à la devise républicaine à la place de propriété en 1848. La fraternité est (...)
  • 10 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 7 et 10.

6Cette position vis-à-vis du clergé peut surprendre, mais elle est bien dans l’esprit de Février. Une frange de l’Église (incarnée par Ozanam, ancêtre du christianisme social)8 participe en effet à la Révolution au nom de la charité envers les pauvres et d’une fraternité aussi civile qu’elle peut être religieuse9. Et l’autre camp des gouvernants, saint-simoniens comme francs-maçons en tête, ne rejette pas, bien au contraire, toute spiritualité, voire toute religiosité. C’est ce que confirme Carnot : « Février, c’est un triomphe nouveau du spiritualisme entrant dans la pratique sociale par le règne des grandes maximes de liberté, égalité, fraternité. […] Il semblait qu’elle [la révolution] eût détruit à la fois, et les préjugés dévots, et les préjugés anti religieux10. »

  • 11 Dans Histoire de la révolution de 1848, il dit : « Transportez la charité infinie du christianisme (...)
  • 12 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 39.
  • 13 Hippolyte Carnot, cité dans Anonyme, Une famille républicaine, op. cit., p. 5 (Voir aussi Mémorial (...)

7À l’instar de Lamartine11, le ministre veut réconcilier religion et démocratie car « la France n’oublie pas qu’en 1789 ses curés se réunirent au Tiers-État de l’Assemblée nationale. […] Il appartenait au gouvernement républicain de les convier franchement à l’exercice de tous leurs droits et devoirs civiques12 ». Le ministre considère en outre que la croyance religieuse ne s’oppose ni à la raison, ni au progrès technique : « la science n’est pas destinée à être l’ennemie de la religion parce qu’elle ne saurait la remplacer […]. Elle est appelée à étendre son empire pour donner à l’homme une idée plus grande de Dieu et de ses dessins sur l’humanité13 ». Il est aussi évident que Carnot raisonne en termes de rapports de forces : pour résister à ce qu’il appelle les « emportements » du clergé, notamment en matière scolaire, il préfère le compromis à l’affrontement, surtout quand on est identifié comme « rouge », même pâle.

  • 14 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 28 février.
  • 15 Durieu qui institua au ministère une « Commission des arts et édifices religieux » fut aussi membr (...)
  • 16 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 10.

8La conciliation, qui lui correspond si bien, doit pacifier le monde enseignant et faire triompher ses réformes. Fin février, il élabore sa stratégie : « Pour le culte, j’ai besoin d’un homme d’administration qui ne trébuchât point, qui ne se laisse jamais prendre en faute, adroit en négociation, formes polies, plein de ressources, travail facile, pas de précédent qui le désignât comme ami ou ennemi14. » Il recherche alors un collaborateur suffisamment souple pour se concilier une hiérarchie religieuse méfiante. C’est le profil d’Eugène Durieu15, ancien chef de la Section administrative des communes au ministère de l’Intérieur et Inspecteur général des hospices et établissements d’utilité publique. Il devient vite un collaborateur indispensable et habile ayant « pour instruction une bienveillance extrême dans tous ses rapports avec le clergé, et en même temps une fermeté inflexible pour le maintenir dans la sphère pure et noble qui lui appartient16 ». De ce jour, le ministère des Cultes, réorganisé en trois divisions, restera rattaché à l’Instruction publique jusqu’à 1863.

9Cette subtile coopération n’empêche pas le ministère de séparer clairement les sphères civiles et religieuses pour laisser aux enfants, et surtout aux parents, toute liberté de penser par eux-mêmes. Il considère même que c’est la seule manière de respecter et de réhabiliter le prêtre et l’enseignant, ce dernier étant chargé de si bien éduquer le peuple que l’enseignement religieux perdra sa raison d’être sans coercition liberticide.

  • 17 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 3 avril et 5 mars.

« Un grand nombre de prêtres occupaient des fonctions universitaires. Ce sont pour la plupart des hommes instruits et dévoués à l’État. Toutefois, ce cumul de fonctions […] était contraire au principe que je voulais poser, de la distinction de l’enseignement religieux et de l’enseignement classique. […] qui risquait d’entraîner les élèves dans l’éducation cléricale et non nationale. J’étais bien loin de vouloir priver l’université des services de fonctionnaires utiles. Mon plan était de n’en point augmenter le nombre et de les remplacer par des laïques ceux qui la quitteraient volontairement. […]. Ainsi, le prêtre prendra sa place légitime dans la société, respecté dans sa personne et sa fonction17. »

  • 18 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

10Il prend donc le contrepied du Premier Empire. Plutôt que de s’adresser aux seuls évêques, le ministre entend émanciper le bas clergé acquis aux idées démocratiques, y compris en supprimant le casuel, pour donner « son véritable sens au mot si mal compris de liberté des cultes ». Pour diffuser les habitudes démocratiques dans l’Église, il envisage même d’y instiller le principe électoral et pose la question d’une éventuelle séparation de l’Église et de l’État, sans toutefois la trancher, car « c’est une affaire avant tout politique18 ».

  • 19 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 24 avril.
  • 20 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 14.

11Il lui préfère ce qu’il appelle la « nationalisation du clergé » pour garder un œil sur ce corps trop souvent allié à la noblesse contre le peuple : « Mon but était de nationaliser le clergé en nationalisant son éducation19. » Ce ne sont ni la religion, ni les prêtres qui sont les ennemis de Carnot, mais bien les congrégations et les ordres enseignants, ce qui est fort différent. Face aux congrégations et à leurs prétentions hégémoniques, il « n’entend pas baisser la garde […] et serait presque tenté de ne pas trouver l’État assez sévère20 ». Il songe donc à contrôler les séminaires, trop souvent livrés aux Jésuites et à « l’obéissance passive ». Il envisage même la création d’un « corps d’inspection des séminaires » qu’il soumet au gouvernement et à la Commission exécutive qui s’empresse d’enterrer le projet.

  • 21 Hippolyte Carnot, Circulaire aux évêques, idem, 11 mars 1848.

12Mais il répugne encore à l’épreuve de force et préfère contourner les ordres religieux en éduquant civilement les populations et en se conciliant le bas clergé. Il maintient donc les cours d’instruction religieuse à la seule condition qu’ils soient facultatifs et donnés par des ministres de différents cultes pour offrir un choix aux enfants. Mais ils ne sont plus obligatoires et ne font plus partie du programme du primaire. Cette laïcisation rampante passe aussi par des mesures symboliques comme l’apposition de la devise de la République au fronton des écoles et le changement des rituels politiques. Le ministre appuie le décret du 29 février qui change le Domine salvum fac Regnem, ces prières publiques que l’on chantait aux fêtes et aux inaugurations d’arbres, en Domine salvam fac Republicam. Puis il l’impose au clergé par une circulaire fort respectueuse qui évoque l’Évangile en des termes si flatteurs qu’ils doivent plaire : « Le clergé apporte à l’ordre nouveau une sympathie plus réelle [...] et [je rappelle] que toutes les libertés [religieuses] sont de l’essence du gouvernement républicain, que l’intérêt de la patrie [républicaine] est uni à celui de la religion21. »

  • 22 Lettre au cardinal archevêque de Lyon, 23 mars 1848, à propos de la fermeture des écoles jésuites (...)
  • 23 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 12.

13Malgré la volonté d’en découdre de quelques religieux et républicains, il y eut peu de protestations contre ces principes qui rappelaient que la « liberté religieuse qui est totalement reconnue par le Gouvernement provisoire ». Simplement, la reconnaissance pleine et entière de la liberté des associations religieuses n’empêche pas le respect « des règles qui ont fait la base du droit public français et que la République veut maintenir22 ». Les religieux sont plutôt séduits et rassurés par le modérantisme d’un ministre qu’ils connaissent et apprécient. Au moment de sa première réélection en tant que député, Carnot avait en effet rencontré le « Comité de l’association pour la liberté religieuse » et lui avait indiqué qu’une fois au pouvoir, il « accepterait la libre concurrence, soit de la part des individus, soit de la part des institutions religieuses […]. Qu’il voterait la liberté d’enseignement, sans mesures préventives, même contre les Jésuites23 ».

  • 24 Le nom d’« Éducation nationale » remplace officiellement celui d’Instruction publique en 1932, sou (...)
  • 25 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 11.

14Pour traduire ces principes dans les faits, le ministre organise son administration en trois divisions. L’Enseignement lui revient directement ainsi qu’à la Haute Commission, les Cultes sont confiés à Durieu et les Beaux-Arts (dont le théâtre et les musées) qu’il chérit retrouvent leur autonomie. De manière prémonitoire, il envisage de donner officiellement le non d’Éducation nationale24 à l’ensemble du système. Il emploie souvent cette expression : « la liberté d’enseignement est indissociablement liée à la constitution d’une éducation nationale25 ». Mais elle sera nécessairement plus démocratique que tous les projets révolutionnaires d’antan puisqu’elle reposera sur la liberté de l’enseignement et des familles.

  • 26 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8.

15Puis il écrit aux recteurs le 26 février pour leur exposer ces principes et leur demander d’assurer la continuité du service public de l’instruction (« il importe que toutes les études suivent leur cours ordinaire », dit-il). Il en profite pour tordre le cou aux rumeurs d’insubordination d’élèves : « Dites aux élèves, monsieur le proviseur, dites-leur au nom de la République que la Nation même leur demande de se montrer dignes d’elle, par leur travail, leur émulation et leurs succès26. » Le surlendemain, une fois les esprits apaisés, une série de textes est envoyée aux recteurs et aux enseignants pour les mobiliser.

16Les hommes de 1848 n’ont cependant guère d’espoir de changer radicalement le système avec les anciennes structures impériales de l’Université, « petite Église [...] dotée elle aussi d’un esprit de corporation, comme le clergé ». Mais Carnot, qui ne veut rien brusquer, reste fort habile et ouvert :

  • 27 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 7 mars.

« Hésitation quant au conseil de l’Université. On me presse de le briser, je le conserve pour ne pas désorganiser l’Université, mais aussi avec la pensée de le transformer en conseil de l’Université publique. Je leur laisse les attributions des conseils de discipline, les livres et le règlement des études. […] Les attributions politiques, je les transfère à la Commission des hautes études27. »

  • 28 Georges Sand trouvait l’action du ministère trop lente et prétendit en 1881 avoir été chargée de r (...)
  • 29 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

17Il conserve la plupart des anciennes structures, mais en modifie les missions et laisse le Conseil de l’Instruction publique gérer tous les niveaux de l’instruction et surveiller la bonne application des nouveaux principes. De même, il maintient les personnels administratifs et enseignants du Secondaire comme du Primaire, se refusant à une « chasse aux sorcières » qui serait forcément arbitraire et parfois injuste. Il préfère convaincre que contraindre, au risque de chuter aux premières résistances. Pour cela, toutes les bonnes volontés sont bienvenues, y compris celle des écrivains comme Georges Sand28 que par ailleurs le sage ministre trouve trop radicale. Il lance, un peu exaspéré devant ses initiatives désordonnées, « elle nous avait fait espérer qu’elle consacrerait son talent à notre œuvre d’éducation nationale. Je rêvais pour elle d’une publication comme la Feuille villageoise que mon père voulait rééditer pendant les Cent-Jours29 ». Il songe cependant à elle, Eugène Sue et Béranger pour s’adresser au peuple dans la langue la plus simple et ainsi l’aider dans sa tâche d’éducation.

  • 30 En vingt ans, la Monarchie de Juillet dégagea 400 millions de francs pour le budget militaire alor (...)
  • 31 Hippolyte Carnot, Rapport à l’Assemblée, 6 mai 1848. p. 9.
  • 32 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 17.

18La question budgétaire reste cruciale : « J’aurais cru manquer au devoir d’un Ministre démocrate si j’avais opéré la moindre réduction sur les fonds destinés à l’enseignement du peuple ». Il a bien conscience que, si le budget de l’instruction a régulièrement progressé depuis la Restauration, il reste encore très insuffisant pour faire face à ses nouvelles missions30. Il demande donc « d’autres millions pour améliorer le sort des instituteurs, assurer partout la gratuité […] et qu’il n’arrive plus jamais que la pauvreté retienne dans un rang inférieur les enfants doués par la nature de facultés qui les appellent aux premières fonctions31 ». La République devant se montrer prodigue, il met sur pied une « Commission spéciale pour un plan de financement de l’instruction primaire » qu’il compte « peupler d’amis de l’éducation populaire qui ne pourront altérer l’esprit de la loi sur l’instruction32 » et qu’il propose au Parlement le 30 juin.

19C’est ce plan mort-né que Carnot et ses collaborateurs, essentiellement Charton et Reynaud, s’attachent à mettre en musique en avril et mai 1848. Conformément à la pensée du ministre, il s’adresse à tous les niveaux de l’instruction, à tous les types d’enseignements, aux filles comme aux garçons et aux maîtres et maîtresses. S’il renoue avec les grands projets éducatifs de la Révolution, il part cette fois du Primaire. En cela, il préfigure les grands plans éducatifs de la fin du Second Empire (Victor Duruy) et de la Troisième République (Jules Ferry) qui sont encore les fondements de notre école publique.

Réformer « par la base et le sommet »

  • 33 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.
  • 34 Né en 1789, député de la Seine, il écrit en 1834 un Manuel des salles d’asile en 1834 qui eut un g (...)
  • 35 Cochin, cité par Antoine Prost, dans L’enseignement en France, op. cit., p. 282-283.
  • 36 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 50.
  • 37 Antoine Prost, L’enseignement en France, op. cit., p. 283.

20En déclarant dans ses notes préparatoires qu’il « importe que les divers degrés du système d’enseignement s’intègrent les uns dans les autres, conduisant directement de l’un à l’autre33 », Carnot veut revoir l’ensemble du dispositif, de ses rouages et de son fonctionnement. Mais, cohérent il s’attache d’abord à réformer la base du système, le niveau pré-primaire qui relevait alors des « salles d’asile ». Héritières des hospices religieux du Moyen Âge, parfois appelées « crèches » quand elles accueillent les moins de deux ans, elles recevaient prioritairement les bébés abandonnés. Ils étaient souvent rejoints par les enfants que les familles pauvres n’avaient pas les moyens d’élever et dont les parents gagnaient, selon le ministre, des « salaires de misère ». Elles connurent un fort developpement au début de la Restauration. Le philanthrope Jean Marie Denis Cochin34 fonda la première salle d’asile à Paris en 1826, dans une optique « de charité religieuse, après appréciation de notre état social […] pour rendre l’ouvrier plus serein35 ». Ces « institutions de charité que l’extrême misère rend nécessaire36 » furent reconnues par l’État « d’utilité publique » en 1837 sous le nom « d’établissements charitables ». On en comptait alors deux cents, regroupant 23 000 pensionnaires de 2 à 6 ans, sous le contrôle d’ordres religieux ou, rarement, d’évêchés. Si Cochin les concevait comme des « maisons d’hospitalités et d’éducation » qui devaient éviter que les enfants ne soient délaissés, grâce au rudiment d’instruction préconisé par la loi Guizot, la réalité était plus sombre. Faute de personnel qualifié et de méthodes adéquates, les petits sont parqués plus qu’éduqués dans ces « garderies propres et chauffées » (Antoine Prost). Les salles en accueillent en moyenne 150 pour une seule directrice, nombre qui peut doubler voire au tripler et impose une organisation quasi militaire avec « commandements au sifflet et au claquoir, mouvements d’ensemble et utilisation des plus grands comme moniteurs37 ». Surtout, l’enseignement y reste magistral et trop peu actif pour solliciter l’intérêt de si jeunes « écoliers ».

  • 38 Il s’agit de Conseils sur la direction des salles d’asiles publiés en 1845. Sur son œuvre, voir Co (...)
  • 39 Mère du peintre, envoyée en Angleterre par Cochin, elle y étudie les Infants schools pendant deux (...)

21Pour Carnot, ces structures cumulent deux inconvénients. Le premier est moral et paradoxal : elles permettent aux femmes de gagner chichement leur vie et d’être donc exposées, hors de leur foyer, au vice et à la corruption pendant que leurs enfants sont (mal) pris en charge. Le second est politique. Ces structures ne peuvent rester hors de l’action de l’État, car elles risquent d’éloigner les jeunes enfants et leurs familles de leurs devoirs civiques. Pour résoudre le premier problème, le ministre, toujours optimiste, compte sur l’amélioration sociale qu’inévitablement la République apportera aux pauvres. Elle permettra aux familles de garder leurs enfants au foyer, avec leurs mères, tout en laissant l’État hors de la sphère sacrée de la famille. Pour le second aspect, il a des idées précises et novatrices qui lui permettent de préparer un grand texte, indépendant de sa loi de juin sur l’école primaire. Il a en effet longuement étudié ces questions dans la Société pour l’Instruction élémentaire avec Marie Pape-Carpantier alors directrice d’une salle d’asile dans la Sarthe et auteur d’un ouvrage remarqué sur le sujet38. Il avait aussi observé les pratiques étrangères, surtout celles de l’Angleterre et ses « infants schools » et de la Suisse avec ses « jardins d’enfants » sur lesquels Cochin et Mademoiselle Millet39 avaient déjà travaillé.

22Ces observations lui inspirent une synthèse hardie : prendre en compte les besoins éducatifs spécifiques des moins de six ans, tout en commençant à les instruire de manière ludique. L’État, chargé de cette nouvelle et délicate mission, devra veiller à :

  • 40 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 54. Sur les enfants d’âge (...)

« Éviter un tort dans lequel on est tombé trop souvent : […] faire de la salle d’asile une petite école […]. Elle n’est ni une école d’instruction, ni un lieu de refuge pour les enfants […]. Elle participe d’une des deux […] l’enfant doit y trouver l’éducation qu’il recevait de sa mère : les soins du corps, le langage des sentiments, ces petits exercices destinés […] à entrouvrir l’intelligence […] tout en les excitant à s’égayer […] sans oublier un début d’instruction, les bonnes habitudes et les bons sentiments. […] Nous les baptiserons du nom plus doux et plus vrai d’écoles maternelles40. »

23Ce nouveau nom, envisagé aussi par Pape-Carpantier, dit tout : les maternelles deviennent des établissements publics d’instruction autant que de socialisation où l’État se montrera une mère généreuse et nourricière pour ses enfants qui, plus tard, le lui rendront bien.

  • 41 Pauline Kergomard fut inspectrice générale de 1881 à 1917 des écoles maternelles et imposa, contre (...)
  • 42 Friedrich Fröebel né en 1782, mort en 1852 est un pédagogue, proche de Pestalozzi qui fonde les «  (...)

24Carnot trace ainsi un sillon qui sera repris par tous les théoriciens de la petite enfance de la Troisième République (qui reprendra le nom de « Maternelles » en 1881), telle Pauline Kergomard41. Il a compris avant elle que les besoins de cet âge préélémentaire passent par le jeu et la mise en action, plutôt que par les traditions scolaires trop figées et inadaptées. Il compte donc introduire dans ces écoles la méthode allemande de Fröebel42, dont il a visité l’école maternelle (ou Kindergarten) à Francfort en 1840.

  • 43 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 54.

25Bien entendu, ce niveau mérite de bons enseignants. Carnot fonde donc, par un arrêté du 28 avril, une école normale maternelle rue Saint-Paul à Paris. Elle devient le « cours pratique des salles d’asile » après avoir déménagé rue des Ursulines, sous la direction pendant vingt-sept ans de Marie Pape-Carpantier. On y « apprendra à diriger les écoles maternelles dans l’esprit de la République […] et à propager des méthodes sanctionnées par l’expérience43 ». Quelques mois plus tard, sa directrice envoie un rapport à l’Assemblée constituante pour faire le bilan de ce qu’elle qualifie de « mission de salut public ». Son texte est un plan d’organisation d’écoles normales maternelles adossées à des établissements modèles, avec des salles d’exercices et de jeu, du mobilier spécifique, des salles de classe et d’étude pour les leçons et un internat décent pour recevoir les élèves maîtresses.

26Ce projet d’écoles maternelles renvoie à la question de la place de la femme dans la société, et donc à la question de l’éducation des filles. Le ministre, depuis toujours préoccupé par le sujet, n’eut guère le temps d’appliquer ses idées, largement inspirées par Michelet. Le grand historien, féroce adversaire de la mainmise du clergé sur l’éducation, pensait en effet que : « Les filles seront bientôt des femmes, des mères, qui livreront aux prêtres, autant qu’elles le pourront leurs filles et leurs fils. »

  • 44 Hippolyte Carnot, cité par Paul Carnot, idem et dans Mémorial, dossier 8.
  • 45 Militante de l’éducation populaire, saint-simonienne, Élisa Lemonnier fut la mère de l’enseignemen (...)

27C’est que Carnot sait l’enjeu qu’elles représentent : « Le prochain mouvement social sera de relever les femmes de l’état de minorité où elles sont maintenues44. » Il sait surtout qu’il n’y a pas de bonne école de filles sans de bonnes enseignantes, de préférence laïques. Il songe donc à multiplier les écoles normales de femmes qui n’étaient alors que onze pour toute la France, soit six fois moins que celles de garçons. Les enseignantes ainsi formées auront vocation à remplacer progressivement les congréganistes sans créer de remous. Dans ces écoles, les jeunes filles recevront, à côté des savoirs classiques, un enseignement spécifique dans les domaines ménager et domestique, bien dans l’air du temps, y compris chez les « progressistes ». Et pour contrer l’influence des congréganistes sur ces âmes fragiles, le ministre supprime les lettres d’obédience qu’il remplace par un brevet de capacité préparé dans les seules écoles normales. S’il n’eut pas le temps de créer ces établissements, Carnot fit néanmoins ouvrir un cours sur « l’histoire morale des femmes » au Collège de France et poursuivit sa réflexion sur la place des femmes à l’école et dans la société. Les écoles normales féminines devaient compléter l’école professionnelle de filles créée par la saint-simonienne Élisa Lemonnier45. Cet « ouvroir », sorte d’atelier de couture et établissement charitable devait fournir pendant deux mois du travail à deux cents mères de familles nécessiteuses. L’idée séduisit tant le ministre qu’il envisagea d’y renforcer l’instruction intellectuelle.

  • 46 En abaissant le seuil de moitié pour la construction d’une école, le projet complète la carte des (...)
  • 47 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

28Une fois l’enseignement des plus petits rénové et la question féminine abordée, le ministre s’attaque le 30 juin à l’enseignement primaire. Hormis l’obligation (pour les deux sexes et pour les communes de 300 habitants au moins46) et la gratuité totale déjà évoquées, c’est dans les programmes, qu’il trouve « presque toujours incomplets pour le premier enseignement […] avec beaucoup de lacunes que l’on ne comble pas47 », que les bouleversements sont les plus considérables.

  • 48 Hippolyte Carnot, cité dans Un député, Une famille républicaine, op. cit., p. 225-226.
  • 49 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

29Pour la première fois depuis la Révolution, les « devoirs envers Dieu » n’y sont plus une matière obligatoire, même si un enseignement religieux de tous les cultes peut être donné sous l’étroit contrôle de l’État. Il est vrai que, pour Carnot, si les prêtres sont les auxiliaires des instituteurs, « l’enseignement religieux n’est pas du ressort de l’école48 ». Les programmes doivent être complets pour former un « tronc uniforme […] destiné à tout passer en revue pour servir à déterminer les vocations49 » qui préfigure l’école de Jules Ferry et va plus loin que les seuls lire, écrire et compter. Outre l’histoire et la géographie nationales, deux des marottes de Carnot, le chant, l’histoire naturelle, la musique et le dessin linéaire, deux matières destinées à épanouir et instruire, on trouve plusieurs spécificités dans les nouveaux textes.

  • 50 Pour les deux citations, Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 5 (...)
  • 51 L’article 16 dit « toute école de plus de 150 élèves peut être divisée ou recevoir un ou plusieurs (...)
  • 52 Hippolyte Carnot, Circulaire aux recteurs, 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et l (...)

30La première, qui sera reprise trente ans plus tard, est une sorte d’instruction civique que le ministre qualifie de « devoirs et droits de l’homme et du citoyen, le développement des sentiments de liberté, d’égalité et de fraternité […], bases d’un enseignement civique pour l’éducation républicaine du pays50 ». L’aide des instituteurs pour cet enseignement est d’autant plus ardemment requise qu’un taux d’encadrement décent des enfants est garanti par la loi51. En même temps, le ministre, influencé par ses voyages à l’étranger, introduit l’étude « des faits principaux de l’agriculture et de l’industrie » dans les programmes du Primaire et des écoles normales : « Le gouvernement veut que les connaissances essentielles à l’agriculture soient étendues autant que possible à toutes les écoles52. » Le pouvoir fait ainsi coup double, il conforte l’idée républicaine dans les campagnes et assure l’approvisionnement du pays (les « subsistances publiques » selon l’expression de Carnot) tout en modernisant l’agriculture, chose capitale en ces temps de mutations et de révolution industrielle.

31Dans la droite ligne de ces projets, dix jours après la chute du ministère, l’Assemblée institue un enseignement agricole professionnel largement inspiré du modèle germanique. On y retrouve des « fermes écoles » (gratuites et pouvant mener au Primaire supérieur), des écoles régionales et un Institut agronomique national. La représentation nationale envisage aussi la création d’un enseignement professionnel destiné aux filles de cultivateurs pour qu’elles aident leurs époux et ne soient pas tentées par les lumières corruptrices de la ville. L’enseignement agricole doit prendre toute sa place dans les programmes pour mieux éduquer la main-d’œuvre, lui permettre de s’adapter aux changements des modes de production, tout en vivant au grand air de la campagne qui purifie et moralise.

  • 53 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

32Les autres nouveautés de la loi sur le Primaire vont assez largement inspirer les successeurs de Carnot au ministère : il s’agit de l’enseignement de la santé et de l’hygiène, des « notions d’hygiène, de médecine et de pharmacie [qui sont importantes] à la campagne où l’on manque souvent des premiers soins, et à la ville où tant de métiers sont dangereux et insalubres53 ». Pour assurer la santé de la nation, y compris dans une optique miliaire, une « Commission de médecins » étudiera les conditions sanitaires des établissements publics qui devront être construits selon des normes sanitaires précises (« conformes aux règlements de salubrité publique »), ce que reprendra aussi Ferry.

33Les bâtiments scolaires seront ainsi pourvus d’un vaste préau bien éclairé, de sanitaires et jardins (que l’on retrouve dans les écoles normales), autant pour l’agrément que pour les leçons de choses et d’agriculture. Le logement des enseignants y sera « décent » et l’on utilisera un matériel pédagogique adapté à l’âge des enfants.

  • 54 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 10.
  • 55 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 20-21.

34À l’intérieur des établissements, la pratique gymnique régulière entretiendra la santé et l’hygiène : « On ne mesure pas avec assez de précautions les heures d’études et celles qui doivent être réservées aux exercices physiques […]. On fait mûrir en serre chaude des jeunes plantes qui ont besoin de soleil et d’air54. » Les « moniteurs de gymnastique » qui y officieront auront été formés dans les écoles normales par des épreuves codifiées, variées et complètes, car il s’agit d’organiser les « forces de la nation ». Le ministre entend donc que les exercices de gymnastique, déjà prévus dans le Secondaire, le « soient également dans le Primaire […] pour développer physiquement et moralement notre jeunesse […] par des marches et mouvements nécessaires à l’instruction du soldat55 ».

  • 56 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 20-21. Pour le rôle civique de la gymnastique voir Gilbert An (...)
  • 57 Le service militaire est créé en 1872 pour une durée de 5 ans maximum avec tirage au sort de la du (...)

35Si cette visée patriotique renvoie au contexte de 1848 et au souvenir des armées de l’An II chères à son père, elle vient aussi de l’étranger. Inspiré par les modèles allemand et scandinave, Carnot a compris qu’outre son effet hygiénique « l’exercice militaire et gymnique produit encore une influence extraordinaire sur le peuple des campagnes56 ». Il est d’ailleurs persuadé que le service militaire sera inéluctablement obligatoire sous une République57 pour défendre le pays par une « levée en masse » égalitaire, tout en évitant le piège d’une armée de métier qu’il qualifie de « mercenaire ». Cette armée populaire est aussi un gage de solidité du régime, puisque ses membres auront été républicanisés par l’école. On voit encore là les similitudes avec la future instruction gymnique et militaire des « Bataillons scolaires » de la Troisième République, nés du désir de « Revanche » après Sedan, sans oublier la future loi Georges qui instituera l’obligation de la gymnastique dans l’école primaire.

  • 58 L’article 18-19 du statut du 25 avril 1834 sur l’application de la loi Guizot prévoyait un certifi (...)
  • 59 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.
  • 60 Hippolyte Carnot, Mémorial, p. 23. Après sa chute, il se reproche de ne l’avoir pas fait assez.

36Cet enseignement sera sanctionné par un difficile et sélectif certificat d’études passé à l’issue du cours moyen deuxième année. S’il entend maintenir l’examen de fin du Primaire prévu par la loi Guizot58, qui a l’avantage « de soumettre notre jeunesse à une certaine uniformité de direction et crée un esprit national59 », il veut le systématiser et le réformer. Il doit s’ouvrir, avec des dérogations et des bourses, aux enfants de modeste extraction qui obtiendront ainsi un diplôme qualifiant leur ouvrant de meilleurs emplois. Pour surveiller l’application de ces idées, le ministre prend immédiatement l’habitude d’aller visiter « dans leurs classes, les enfants au milieu de leurs exercices60 », y compris à Presles.

  • 61 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

37Le nouveau certificat d’études permettra l’admission à l’enseignement primaire supérieur, véritable « collège du peuple » (Yves Gaulupeau) avant l’heure, héritier de celui de Guizot à présent légitimé et systématisé : « Il est important de créer un degré d’enseignement intermédiaire entre l’école primaire et le collège […] comme en Prusse61. » Gratuit, ouvert à tous par des bourses, ce degré post-primaire élèvera le niveau de qualification des enfants des classes populaires et leur permettra d’accéder à des métiers intermédiaires ou de poursuivre leurs études. Son enseignement, préparé dans les Écoles normales, sera prodigué par des instituteurs spécialisés en mathématiques, physique, histoire naturelle et agriculture dans un esprit d’émulation et de formation technique autant que civique.

  • 62 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8.
  • 63 Il conserve le nom du lycée Charlemagne, un pilier du « récit national », mais nomme lycée Bonapar (...)
  • 64 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 21 et Mémorial, dossier 14

38Une fois le Primaire rénové sur ces bases méritocratiques, Carnot s’attaque à l’enseignement secondaire alors réservé à l’élite, fort coûteux et sous la coupe de l’Église. Mais, comparé à l’urgence du Primaire, il ne le considère pas comme prioritaire car il concerne trop peu de monde : « Il n’y a pas péril en la demeure. Quand on ferait trop de grec et de latin pendant quelques mois, la République ne serait pas compromise62. » Mais, une fois la rénovation maternelle et primaire lancée, il bouleverse tout le système. Les collèges royaux deviennent des « lycées d’État de première classe », les collèges communaux des « lycées de seconde classe » à la charge des départements et il rebaptise les plus grands lycées de noms républicains ou de gloires nationales63. Tout comme le niveau précédent, le Secondaire doit refléter la diversité sociale. Il envisage donc de créer de nouveaux lycées dans les quartiers populaires pour « être à la portée des familles ». Si le Secondaire d’État reste réservé « à un certain nombre de citoyens qui recevront des connaissances plus étendues que celles qui suffisent pour le développement de l’homme », il ne doit pas être interdit aux classes populaires. L’élite scolaire — ces « agents essentiels [qui] seront recrutés dans la masse du peuple », précise-t-il — sera d’autant plus représentative de l’ensemble de la société qu’elle sera fondée sur le mérite sanctionné par des examens et des concours gratuits via des bourses. Pour que l’« élite des établissements primaires » ait toutes ses chances de succès, elle sera soutenue par les enseignants du Primaire supérieur pour accéder, enfin, à un Secondaire rénové (sans latin ?). Alors seulement « les fonctions publiques seront accessibles à tous les citoyens, aux riches comme aux pauvres après examens ou concours pour les écoles secondaires d’État, préparatoires à toutes les professions64 ».

39Carnot modernise aussi les programmes du Secondaire pour la rentrée de septembre, afin de ne pas troubler l’année de travail. Il y développe l’hygiène par le sport, la gymnastique, la promenade et fait contrôler la salubrité des établissements sous l’égide d’une « Commission spéciale ». Si les programmes restent centrés sur les études classiques, il insiste sur la préparation physique (« la manœuvre ») qui devrait réduire la durée d’une conscription qu’il juge inévitable. Il renforce l’Histoire, y compris celle de la Révolution française, sans oublier la géographie et, pour éviter les errements licencieux, compte contrôler les lectures des élèves. Enfin, toujours soucieux de civisme et de républicanisme, il veut familiariser les lycéens à l’exercice de la vie politique et au respect des institutions. Il prescrit donc la lecture à haute voix du Moniteur pendant les repas pris en commun, ce qui lui permet d’écarter des journaux trop virulents, notamment les feuilles monarchistes.

  • 65 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 18, 50 et 22.

40Pour couronner cette vaste réforme des cursus primaire et secondaire, il s’attaque, dans la plus pure tradition révolutionnaire, aux écoles spéciales ou instituts supérieurs. Il dote leurs élèves de nouveaux uniformes, et d’abord ceux d’une École normale gratuite pour préparer à la « carrière de l’enseignement, pénible autant qu’honorable, peu lucrative et toute de dévouement ». Il développe les bourses pour chacune des écoles spéciales, conforte leur entrée par concours et les ouvre au grand public car « l’accès à leurs leçons ne peut être défendu à personne ». Quant à l’Institut de France, qui inclut l’Académie des sciences morales et politiques, « belle création de notre première Révolution […] qui honore la France » et lui est chère, il propose de la réformer et de l’ouvrir aux plus méritants. Il entend en faire une sorte d’inspection générale « des besoins et des progrès scientifiques, confiée à l’élite des savants65 » pour propager l’esprit d’initiative et de recherche. Ce corps, à présent réunifié, travaillerait avec les enseignants et les recteurs pour organiser la recherche et les expériences scientifiques, techniques et littéraires. Ainsi, l’éducation nationale sera en prise directe avec la société entière.

41À ces projets ne manquent que ceux concernant les enseignants formés par l’École normale supérieure de Paris, et les instituteurs formés dans les 74 Écoles normales départementales. Ils sont le dernier élément de la grande réforme du système éducatif d’Hippolyte Carnot, l’objet de toutes ses attentions et deviennent les missionnaires du « catéchisme républicain » qu’ils doivent prêcher aux enfants du peuple comme à ceux de l’élite.

Extrait d’un manuscrit de Carnot récapitulant ses textes sur l’enseignement primaire (1848) (AFP/HC/IV/carton B, d5)

« Soldats de la République » et catéchisme républicain

  • 66 Hippolyte Carnot, circulaire du 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot le ministère, p (...)

42Parmi les problèmes éducatifs pointés par le ministre à son entrée en fonction figure le maigre traitement des instituteurs, environ 400 francs par an en moyenne, casuel compris. À cela s’ajoute le mépris dont ils sont l’objet, leur faible formation et leur précarité. Or, c’est sur eux, que Carnot veut faire reposer ses réformes : « La condition des instituteurs primaires est un des objets principaux de ma sollicitude. […] Ils touchent le plus directement à tout le peuple : c’est à eux que sont confiées les bases de l’éducation nationale66. »

  • 67 Cette expression renvoie directement à celle de « Hussards noirs » de Péguy déjà évoquée plus haut

43Son idée est simple : il ne faut pas seulement augmenter leur salaire, mais les réhabiliter (« retrouver la dignité de leur fonction ») et les impliquer dans la vie nationale au point d’en faire les piliers (« soldats de la République67 ») de l’éducation à la République et à la démocratie. C’est qu’il connaît bien leur situation pour l’avoir observé à Presles, à Savignat et dans son arrondissement :

  • 68 Hippolyte Carnot, notes sur la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5, Mémorial, dossier 8.

« Cette profession [n’a] ni les avantages lucratifs, ni ceux de l’agrément ; elle est pleine de difficultés […]. Il faut donc l’entourer de considération pour qu’elle ne s’ouvre pas seulement à ceux qui sont poussés par la nécessité de prendre un métier et n’en trouvent pas d’autres. Il faut améliorer leur situation et surtout la relever […]. Apôtres de la République, ils ont, du moins un rapport avec les apôtres, ils sont pauvres comme eux, et ils ont souffert des misères du peuple68. »

  • 69 Cette fonction de militants des droits de l’homme, politiquement, mais pas philosophiquement neutr (...)

44Les enseignants doivent aussi rassurer (« il faut que le mot Révolution cesse de faire peur », dit-il) et acclimater les masses, surtout paysannes, au nouveau régime en prêchant littéralement la fraternité sociale de Février. S’ils doivent être politiquement et religieusement neutres, ne pas endoctriner leurs élèves, ni leur indiquer quel parti choisir, ils doivent cependant militer pour des idéaux des droits de l’homme de 1789 qui autorisent l’expression libre de toutes les opinions69, sauf dans l’école. C’est dans ce registre qu’il leur faut lutter contre toutes les superstitions, y compris religieuses et contre les représentations négatives de la République colportées dans les campagnes.

  • 70 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 12. La loi 1848 précise «  (...)
  • 71 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

45Leurs revenus doivent leur permettre de s’adonner à cette mission civique sans souci matériel et avec une garantie de neutralité sans faille. Le ministre propose donc « d’élever la condition des instituteurs en les transformant, de fonctionnaires des communes en fonctionnaires d’État70 » pour les émanciper des potentats locaux, des parents et des religieux. Car, « il faut certes que l’instituteur soit accepté dans sa commune, mais s’il en dépend trop, il n’est pas assez considéré. Il importe donc qu’il ne puisse point être destitué capricieusement71 ». Dans cette optique, il supprime le « certificat de moralité » qui inféodait les instituteurs à l’Église et, accessoirement, au pouvoir. Et, dans l’urgence, il obtient de son collègue des Finances de porter leur traitement à 600 francs au moins et fixer un salaire minimum de 250 francs grâce à un crédit exceptionnel d’un million.

46Cet argent se doit d’être bien utilisé. Le ministre institue donc un vaste système de promotion fondé sur quatre échelons avec des rémunérations allant de 600 à 1200 francs qui permettront aux enseignants de ne plus mendier leurs revenus aux communes ou aux parents. Cette augmentation s’inscrit dans une sorte de proto-laïcisation rampante du système, du moins pour le Primaire. Sa loi annonce en partie celle de Ferry, puisqu’elle entend mieux séparer deux mondes pourtant à ses yeux complémentaires :

  • 72 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

« L’augmentation du trop faible traitement des instituteurs est aussi le moyen de les mettre en état de lutter contre les efforts du clergé, de résister à ses emportements. […] Les instituteurs devront donc être laïques [pour le public] ou religieux [pour le privé], cela ne fait plus question, c’est intéressant et nécessaire72. »

  • 73 Hippolyte Carnot, lettre aux recteurs, 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le mi (...)

47Dans un tel cadre, il ne saurait y avoir de confusion : l’institution publique doit se tenir à l’écart de la religion, affaire familiale ou réservée aux écoles privées. Ce premier secours assuré, Carnot s’attache à restaurer le prestige des enseignants. Il entend d’abord en faire de potentiels dirigeants politiques et administratif via les concours qui complèteront son École d’administration : « L’intérêt de la République est que les portes de la hiérarchie universitaire leur soient ouvertes aussi largement que possible73. » Une si haute mission civique implique bien entendu une formation de qualité, ce qui est alors loin d’être le cas puisqu’une simple une lettre d’obédience ou de vagues brevets de capacité suffisent :

  • 74 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 11, notes sur loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

« Le personnel d’enseignement primaire laisse beaucoup à désirer […] et la plupart des anciens maîtres d’école suivent souvent des routines surannées. La plupart des inspecteurs ignorent le plus simple procédé d’enseignement qu’ils sont chargés d’inspecter. […] Il importe donc de développer les Écoles normales départementales, une des plus merveilleuses créations de notre temps où mûrit le savoir et l’intelligence […]. Elle assure la délivrance de brevets de capacité sur des épreuves très sérieuses […]. [Que] l’État donne la garantie de capacité aux enseignants et que la commune, qui représente l’ensemble des familles, donne ainsi sa confiance indirecte74. »

48Il faut en outre refondre l’inspection primaire pour éviter le clientélisme et renforcer la cohérence du système. Les écoles normales seront donc généralisées à tous les départements et les sexes, améliorées et régulièrement évaluées. Pourvoyeuses d’enseignants, elles doivent les initier à l’étude de l’agriculture dans les départements ruraux et celle de l’industrie dans les départements urbains. Enfin, pour s’adapter « au monde moderne », le ministre juge nécessaire d’y apprendre des sciences (mathématiques et physique), de la biologie (grâce aux jardins des écoles) et, toujours, de l’Histoire « moderne » c’est-à-dire immédiate.

49Pour améliorer les carrières, Carnot demande aux recteurs de favoriser l’accès des enfants modestes, notamment ruraux, à l’enseignement du Primaire supérieur. Puis dans un célèbre texte du 6 mars 1848, il demande aux instituteurs de briguer des mandats électifs : « Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France […]. Qu’une ambition généreuse s’allume en eux, […] qu’ils expriment dans la législature les besoins, les vœux, les espérances de cet élément de la nation [les populations rurales] si capital et si longuement négligé ». De nombreux enseignants s’emparent de cette idée et s’organisent (notamment dans le Sud-Est, ce dont Louis-Napoléon Bonaparte saura se souvenir) pour dispenser des cours d’instruction civique et politique aux adultes.

  • 75 Lettre aux recteurs, 6 mars 1848, Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le minist (...)
  • 76 Jules Simon, Notice historique, op. cit., et lettres à Carnot, AFP/HC/IV/carton B, d6.
  • 77 Hippolyte, Carnot, Mémorial, dossiers 8-12.
  • 78 Le Journal des débats mars s’exclame : « Il n’est pas juste puisqu’on a aboli les privilèges, d’en (...)

50Cette circulaire est capitale dans la carrière du ministre, car il y évoque, certes assez maladroitement, l’intérêt pour la République d’avoir des élus venus du peuple pour peser sur les décisions dans un sens plus social. Il y explique qu’il « est manifeste qu’un brave paysan, avec du bon sens et de l’expérience, représentera infiniment mieux à l’Assemblée les intérêts de sa condition qu’un citoyen riche et lettré75 ». Cette phrase lui sera longtemps reprochée comme démagogique, une apologie de l’ignorance et donc de la manipulation, opposée à l’éducation d’élite et la culture classique. Plusieurs de ses amis regretteront même ces mots comme Jules Simon : « Dire qu’un bon maître [et un paysan] pouvait être un bon député, c’était scandaliser les licenciés et les bacheliers qui garnissaient les bancs de l’Assemblée76. » Carnot précisera toujours, au contraire qu’il n’oppose en rien culture (« ce qu’on nomme superficiellement l’éducation ») et connaissance des besoins du peuple (ce qu’il appelle « identité de sentiment avec les masses »). Ils sont complémentaires (« joints »,77 dit-il) et ce serait ignorer ses combats et ses valeurs que de penser qu’il méprise la culture. Il la veut simplement partagée et aussi civique que savante. Mais ses adversaires78 comme Thiers et Falloux ne s’embarrassent pas de ces nuances. Sa réputation d’extrémiste, de « Montagnard » est faite chez les conservateurs qui s’en souviendront début de juillet.

51Pour ce qui est de la fonction civique des instituteurs, elle est bien connue puisque la même circulaire affirme :

  • 79 Hippolyte Carnot aux recteurs, 6 mars 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p.  (...)

« Je veux utiliser dès à présent, avec votre concours, monsieur le Recteur, le corps des instituteurs primaires […]. Que nos 36 000 instituteurs primaires se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l’instruction publique devant la population des campagnes. […] Je les prie de contribuer pour leur part à fonder la République. […] Il faut la défendre contre l’ignorance et le mensonge et c’est à eux qu’appartient cette noble tâche79. »

  • 80 Hippolyte Carnot, Considérations sur 1848, note de mai 1866, AFP/HC/V/d2-3.
  • 81 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.
  • 82 Alain Garrigou, Histoire sociale du suffrage, op. cit., le chapitre I « La société dans l’élection (...)

52Tout cela ne fait pas des instituteurs, comme on l’a parfois dit, des agents électoraux ou des propagandistes serviles du pouvoir, même s’il est évident que le ministre souhaite la victoire de son camp : « Il n’y a pas eu, en 1848, de candidature officielle. On a recommandé par des circulaires publiques des choix républicains, chose très justifiable puisqu’on était en République. On a incité les électeurs à envoyer des représentants républicains pour faire une constitution républicaine. Mais on n’a désigné personne pour leur choix80. » C’est bien une éthique de service public que le ministre exige des enseignants considérés comme responsables et « exemplaires, [pour ne] ne faire que leur tâche, ne point être trop absent, car ils sont payés par l’État […]. Ils doivent être responsables de leurs actes81 ». Grâce à ce nouvel esprit et à des inspections régulières, les conditions matérielles des scrutins d’avril et de mai furent transparentes, équitables et fort honorables pour une première expérience de suffrage universel82.

  • 83 Hippolyte Carnot, Circulaire du 6 mars 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. (...)
  • 84 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6.

53Pour propager cet esprit civique et démocratique, Carnot demande aux recteurs de mobiliser « les esprits capables d’une telle tâche [qui auront] à composer de courts manuels par demandes et réponses sur les droits et devoirs des citoyens. […] Qu’ils deviennent entre leurs mains le texte de leçons profitables83 ». Il s’adresse pour cela aux instituteurs : « C’est à vous qu’il appartient de faire comprendre le sens de la politique nouvelle » à une époque où la presse n’était guère lue (et souvent de manière collective) et où les notables et les curés sont les seules sources d’informations. Et les enseignants, longtemps mal formés et mal traités par ces mêmes notables n’étaient alors sans doute pas les plus qualifiés pour faire œuvre de pédagogie civique. Mais, la République ayant restauré les libertés individuelles et collectives et instauré le suffrage universel, Carnot considère qu’elle doit intervenir activement dans ce domaine de l’« enseignement philosophique pour l’instruction populaire84 ». Il fait donc de l’enseignement civique une des matières obligatoires de la loi du 30 juin 1848, véritable préfiguration des programmes de l’école de Jules Ferry.

  • 85 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 32.
  • 86 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6.

54Les ouvrages civiques et édifiants que désire le ministre doivent en outre être composés sous l’autorité des recteurs, ce qui en garantit l’objectivité et la moralité. Tous ces hauts fonctionnaires, sauf un qui est prêtre, acceptent de tenter cette expérience inédite, « sans croire plus que moi demander des ignorants pour l’Assemblée nationale85 ». Mais la tâche est délicate car, l’écrivain qu’est Carnot le sait, « les livres les plus difficiles à écrire sont les livres populaires. Nous avons besoin d’un catéchisme ou d’un manuel propre à éclairer les nouveaux électeurs et à guider les instituteurs pour leur enseignement civique. Henri Martin et Charles Renouvier vont entreprendre ce travail86 ».

  • 87 Le mot est aussi, une référence au Catéchisme citoyen écrit par Volney, député du tiers-Etat de l’ (...)
  • 88 Il est sûr que sous la Révolution, sa modération, son réformisme et sa confiance dans les populati (...)
  • 89 Il comportait quatre thèmes, notamment sur les Ateliers nationaux et l’éducation gratuite. Il s’as (...)

55Catéchisme87, le grand mot est lâché et devient le titre de nombreux manuels. Le terme ne doit pas surprendre dans la bouche d’un ancien catholique, sûrement toujours croyant. Carnot veut en outre convertir le peuple à la démocratie et se pense comme un missionnaire de la République, quitte à finir cloué au pilori ou renvoyé. Ces manuels civiques, aussi nombreux que variés ne furent jamais imposés de Paris, en un bel exemple de décentralisation88. Toutes les Académies s’attellent à la tâche sous la direction d’instituteurs, de professeurs de lycées anonymes ou d’auteurs prestigieux comme Henri Martin à Paris. On en écrit à Nancy, à Orléans, à Melun, à Agen, à Toulouse, à Strasbourg (par un rabbin), dans le Loir-et-Cher (par Ducoux) et Eugène Sue rédige un opuscule appelé Républicain des campagnes89. Tous suivent les recommandations du ministère et s’organisent sous forme de questions-réponses, avec des chapitres bien identifiés (« des élections », « de la morale de l’homme », « des devoirs de l’homme », « le devoir sacré de voter »), des notices historiques et des titres assez voisins comme le Manuel des droits et devoirs (politiques) du citoyen. Une fois rédigés, ils sont visés par les recteurs puis soumis à la Hautes Commission des études et ne sont, en aucun cas, destinés aux enfants.

  • 90 Le catéchisme républicain ou Manuel du peuple, par Decoux cité par Paul Carnot, Hippolyte Carnot e (...)

56Leur contenu varie, certains sont plus avancés voire socialisants (dans le Sud-Est ou dans l’ouvrage d’Eugène Sue par exemple), d’autres plus conservateurs et presque mystiques. La plupart vantent les avantages du suffrage universel (« s’abstenir de porter son vote, ce serait quelque chose de comparable au suicide » souligne Henri Martin), mettent en exergue les valeurs de 1789 revues par celles de 1792 et 1848 comme l’égalité (« tout le monde, riche ou pauvre, a sa part de pouvoir »), bref précisent les idéaux républicains (« c’est le gouvernement de tous et pour tous90 »). Un certain nombre, comme celui du Lot-et-Garonne, s’interrogent le sens de l’intervention de Carnot sur l’éducation et la fortune des élus :

57« Question : Entendez-vous qu’il faille proscrire de l’Assemblée la fortune, le talent et l’éducation ?

  • 91 Manuel des droits et devoirs du citoyen du Lot-et-Garonne, AFP/HC/IV/carton B, d5.

58Réponse : Bien au contraire […] mais la probité et l’intégrité doivent leur être préférées91. » Recevant les premiers manuels fin mars, le ministère débloque un modeste crédit de 5 000 francs puisque ce sont les départements, via les commissaires de la République, qui doivent les imprimer et les distribuer.

  • 92 Henri Martin, Manuel de l’Instituteur pour les élections, dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le (...)

59Deux de ces manuels sont plus connus. Le premier est écrit par Henri Martin, vieux complice de Carnot et successeur de Guizot à la faculté des lettres pour l’Histoire moderne. Son titre, le Manuel de l’Instituteur pour les élections, en résume l’objectif : réhabiliter le vote et l’élection au suffrage universel qui repose sur « une volonté purifiée de toute haine et de tout intérêt personnel […] sur l’impartialité et la probité […] pour améliorer le sort de ceux qui souffrent92 ». Il est classique (« pratique dans sa forme et marchant droit à l’application », dit Carnot) et représentatif des textes d’instruction civique impulsés par le ministère. Tous veulent convertir les campagnes aux us et coutumes de la démocratie (et du vote), aux idées de 1789 et non pas inciter à voter pour tel ou tel, sachant que seuls les républicains proposent le suffrage universel et adhèrent aux valeurs de 1789 à 1792.

  • 93 Charles Renouvier, né en 1815, est un polytechnicien, philosophe et saint-simonien, laïc et rédact (...)

60Le plus célèbre est le Manuel républicain de l’homme et du citoyen du philosophe Charles Renouvier93. Il est assez singulier et oscille en permanence entre manuel civique et ouvrage philosophique. Sans en faire l’étude exhaustive, retenons qu’il est fondé sur un postulat des Lumières selon lequel l’homme ne peut s’accomplir qu’en accord avec les lois de la nature : « L’homme se perfectionne lorsqu’il s’approche le plus qu’il peut d’être complet selon sa nature ». De là découlent la morale, la famille, l’amitié et les droits et devoirs de l’homme. C’est de la nature que les hommes de 1848 tiennent leur fameuse devise Liberté, Égalité, Fraternité, formée de trois valeurs complémentaires qui mènent à une « République parfaite ». La société sera d’abord régie et régulée par la loi, « expression de la volonté du peuple, dans l’intérêt du peuple et à laquelle il faut obéir ». Elle organise d’abord la liberté qui, si elle était totale « laisserait l’inégalité aller croissant ». Elle régit aussi l’égalité dont il faut s’approcher le plus possible, mais qui ne peut être absolue, sinon « le citoyen ne pourrait rien pour lui-même […], la liberté serait détruite ». C’est donc la fraternité qui concilie ces deux valeurs et permet de définir les droits et devoirs du peuple garantis par l’État qui protège les plus faibles. Cette fraternité n’empêche pas la propriété et mènera vers une « société parfaite, sans contrainte pour personne » :

  • 94 Charles Renouvier, Ibidem.

« C’est la fraternité qui portera les citoyens […] à concilier tous leurs droits de manière à demeurer des hommes libres, permettant de demeurer libre, et à devenir autant qu’il est possible des fruits du travail de l’homme. […] La propriété est le fruit du travail de l’homme, et notamment ce fruit capitalisé par l’épargne. […] Elle est encore un stimulant pour le travail, une cause de progrès pour l’agriculture et l’industrie. […] Tout citoyen jouit de sa propriété dans la mesure fixée par la loi. [...] Si ce fruit du travail était à la République au lieu d’être à lui, […] l’homme ne serait pas loin d’être esclave de la République si elle en disposait seule et en faisait jouir qui bon lui semble. […] La loi qui la reconnaît peut et doit l’enfermer dans certaines bornes […] pour l’intérêt public94. »

  • 95 Lettre de Charles Renouvier à Carnot, février 1850, AFP, HC, IV, carton A, d2.
  • 96 Rappelons-en les chapitres : La fin morale de l’homme/Fin morale de la société/De la République et (...)

61Il n’y a rien là de choquant pour des citoyens admettant les principes de 1789 et de la Déclaration des droits de l’homme. L’ode à la propriété (mais aussi au crédit) éloigne l’auteur du communisme qui lui sera plus tard reproché. En ce domaine, Renouvier écrit à Carnot : « Je ne connais point les caractères du socialisme et des doctrines pleines de haine et d’aberrations95. » Mais le texte est si progressiste (« le droit au travail et à l’assistance ») et novateur96 qu’il heurte les valeurs de l’époque, surtout celles de l’Église et de la bourgeoisie qui vont triompher aux élections d’avril.

  • 97 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 34.
  • 98 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5. Voir chapitre IX.

62Ainsi quand Renouvier se demande « si le régime républicain ne doit pas ajouter quelque chose au droit de la femme dans la famille […], si dans l’intérêt du mariage, il n’est pas bon que le divorce soit rétabli comme au temps de l’Empereur », le scandale est grand. Sur cette question relevant de la sphère privée, le très prude Carnot, pourtant partisan d’une évolution de la condition féminine, émet des réserves en juin 1848. Ce sont là les fameuses « expressions que je n’approuve pas et que lui-même [l’auteur] devrait modifier97 ». Mais Renouvier est plus subtil et explique : « la famille reste le lieu où le cœur de l’individu trouve sa pleine satisfaction ». L’auteur n’est donc pas contre la famille en général, mais pour l’évolution de son carcan bourgeois et clérical, ce qui en ce domaine comme en bien d’autres est trop en avance sur son temps. Ses projets fiscaux effraient plus encore les conservateurs et la paysannerie et expliquent son accusation de communisme. Renouvier préconise en effet un impôt progressif sur le revenu : « La part d’impôt doit s’élever plus rapidement que la fortune : c’est du moins ce que la Fraternité commande ». Il y a là comme un écho aux positions de Carnot : « L’impôt sur le revenu rendrait la chose [financer l’école] bien plus facile : chacun contribue proportionnellement à sa fortune. […] La fraternité vient ainsi au secours du faible98. » Enfin, dans un autre registre, et comme le ministre de l’Instruction, le Manuel songe à un service militaire généralisé, car « la patrie doit la même reconnaissance à tous ses enfants ».

63Si le Manuel républicain est contrasté, ce n’est en aucun cas la caricature que l’on en fait lors de l’agonie du ministère. Il prêche même le droit à la sûreté et parle plus de devoirs que de droits illimités. Cependant, il contient tant de propositions iconoclastes que l’on conçoit qu’il puisse être utilisé, caricaturé et mutilé par ses adversaires à une époque où il est peu diffusé et où près de la moitié de la population est encore analphabète.

64L’ouvrage reste audacieux, plein d’enthousiasme et de foi parfois naïve dans les valeurs de Février. Il est à ce titre représentatif de l’esprit de 1848 et des idéaux de la Révolution française, du saint-simonisme ou de la libre-pensée dont Renouvier est l’un des promoteurs. Il mêle en permanence eschatologie républicaine, mission émancipatrice de la France et élan fraternel : « un frémissement a parcouru la terre à l’annonce de la dernière révolution de Paris, nous touchons à la révolution du monde ». Il prend même des accents prophétiques résumés par la fraternité, valeur civile autant que religieuse (« la morale républicaine n’est autre que la forme sociale de la morale chrétienne »).

  • 99 Toutes les citations sont extraites du Manuel républicain de l’homme et du citoyen, de Charles Ren (...)

65Pour Renouvier et pour Carnot, cette valeur permettra l’émancipation des individus dans la liberté et l’égalité et mettra « fin à toutes les luttes, permettra la paix dans l’égalité et la fraternité ». Ainsi, en un langage quasi mystique et religieux, l’élève qui répond au maître pourra affirmer : « Je crois sortir des ténèbres et voir le jour pour la première fois. Je ne vivais que dans mon village, et voilà que je vis dans la France. La République me fait deux fois Français ». Et l’enseignant de conclure : « Voilà les choses que j’avais à vous enseigner. Propagez-les afin de servir la République et de la fonder dans les âmes comme je viens de m’efforcer de la fonder dans la vôtre. Ainsi nous marcherons tous à la terre promise99. »

66En quelques mois, tout le système d’éducation et d’instruction est donc bouleversé. Aucun de ses échelons, aucune de ses écoles n’échappe à ce tourbillon de réformes sans précédent depuis 1789, et que seule la Troisième République reproduisit quarante ans plus tard. Bâti sur une philosophie éducative et sociale mûrie de longue date, nourri d’expériences étrangères, ce plan cohérent réforme l’ensemble du système. Il part des enfants de maternelle, du Primaire, et des lycées, passe par les jeunes hommes de l’Université (à travers les écoles spécialisées) et va jusqu’aux adultes. Car l’éducation républicaine et démocratique se construit tout au long de la vie en une sorte de « formation permanente » que la recherche et l’évolution socioéconomique du pays doivent en permanence alimenter.

67Enfin, Carnot fait des enseignants la clé de voûte de son système. Mieux formés, dégagés des contingences matérielles et des influences religieuses, ils diffuseront le républicanisme dans les campagnes, « par en haut » dirait Maurice Agulhon, mais en tenant compte des traditions « d’en bas » et des impulsions sociales. Véritables « hussards noirs » avant l’heure, militants des droits de l’homme en général plus que de la République en particulier, appuyés sur de nouveaux manuels didactiques et civiques, ils incarnent toute l’ambition émancipatrice du plan d’éducation de Carnot et symbolisent les principes qui feront l’école publique républicaine jusqu’à nos jours. Ces hommes vertueux représentent, avec la loi du 30 juin 1848, la gratuité (ils sont partout présents et pour toutes les classes sociales) et l’obligation dont ils sont les garants pointilleux en tant que fonctionnaires. Ils incarnent aussi une sorte de primo-laïcité à travers la tolérance et la neutralité dont ils doivent faire preuve vis-à-vis des prêtres et des familles. Par leur travail et leur philosophie, ils sont la liberté. Enfin, ils représentent et promeuvent la méritocratie, pour eux-mêmes qui peuvent prétendre aux plus hautes fonctions, et pour leurs élèves méritants qui doivent poursuivre leurs études grâce aux bourses.

68Mais en ce mois de juin, la situation politique et sociale laisse bien peu de marges au ministre. Chaque jour, les espoirs de réformes s’amenuisent. La réalité d’un pays au bord de la guerre civile et de la dictature d’un homme au nom prédestiné vont finalement mettre fin à une expérience aussi unique que prémonitoire.

Notes

1 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

2 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 12 et 24.

3 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 23

4 Rapport d’Hippolyte Carnot, le 6 mai 1848, dans Un député, Une famille républicaine, op. cit., p. 221-222.

5 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8 et lettre au président de la Société pour l’instruction élémentaire, février 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5

6 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 22-29 et notes sur la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

7 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 37-38-44.

8 Voir Gérard Cholvy, La religion en France de la fin du xviiie à nos jours, Paris, Hachette-Sup, 1991.

9 Fraternité est ajoutée à la devise républicaine à la place de propriété en 1848. La fraternité est aussi une valeur chrétienne Carnot parle de « notre République et ses promesses fraternelles et évangéliques ». (Dans Mémorial, dossier 23). Voir Maurice Agulhon, Marianne au Combat, Paris, Flammarion, 1974.

10 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 7 et 10.

11 Dans Histoire de la révolution de 1848, il dit : « Transportez la charité infinie du christianisme, de la conscience de l’individu dans la conscience des gouvernements. Vous aurez créé la République impérissable ».

12 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 39.

13 Hippolyte Carnot, cité dans Anonyme, Une famille républicaine, op. cit., p. 5 (Voir aussi Mémorial, dossier 7-10).

14 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 28 février.

15 Durieu qui institua au ministère une « Commission des arts et édifices religieux » fut aussi membre fondateur de la Société héliographique en 1851 et président de la société française de photographie. Il travailla avec Nadar et Delacroix et devint ami fidèle de Carnot qu’il initia à la photographie.

16 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 10.

17 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 3 avril et 5 mars.

18 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

19 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 24 avril.

20 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 14.

21 Hippolyte Carnot, Circulaire aux évêques, idem, 11 mars 1848.

22 Lettre au cardinal archevêque de Lyon, 23 mars 1848, à propos de la fermeture des écoles jésuites par le Commissaire de la République. AFP/HC/IV/carton B, d1.

23 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 12.

24 Le nom d’« Éducation nationale » remplace officiellement celui d’Instruction publique en 1932, sous le ministère Herriot, grand laïc et ancien dirigeant du « Cartel des gauches », en hommage à la Révolution française. Il fut conservé sous le Front populaire et sous Vichy et subsiste jusqu’à nos jours.

25 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 11.

26 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8.

27 Hippolyte Carnot, Agenda, 1848, 7 mars.

28 Georges Sand trouvait l’action du ministère trop lente et prétendit en 1881 avoir été chargée de rédiger les circulaires du ministère de l’Instruction, ce qui était faux et mit fort en colère Carnot. Elle voulait envoyer des « hommes intelligents, braves et doux, des ouvriers pour éclairer l’opinion, catéchiser le peuple, […] faire un enseignement simple et fraternel et ainsi propager le sentiment républicain dans les campagnes. Hippolyte est circonspect, car on manque de personnel qualifié et dévoué. » (Dans Mémorial, dossier 8).

29 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

30 En vingt ans, la Monarchie de Juillet dégagea 400 millions de francs pour le budget militaire alors que la paix régnait contre 18 millions pour l’Instruction et 3 millions pour l’Instruction primaire. Le 2 juillet, il demande un crédit de 47 millions pour l’Instruction, dont un million pour les seuls instituteurs. Quant au budget de l’Instruction primaire, il était passé de 4 000 francs sous l’Empire à 500 000 sous la Restauration.

31 Hippolyte Carnot, Rapport à l’Assemblée, 6 mai 1848. p. 9.

32 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 17.

33 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

34 Né en 1789, député de la Seine, il écrit en 1834 un Manuel des salles d’asile en 1834 qui eut un grand succès. Son fils Augustin travailla aussi sur la question des salles d’asile et de l’éducation.

35 Cochin, cité par Antoine Prost, dans L’enseignement en France, op. cit., p. 282-283.

36 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 50.

37 Antoine Prost, L’enseignement en France, op. cit., p. 283.

38 Il s’agit de Conseils sur la direction des salles d’asiles publiés en 1845. Sur son œuvre, voir Colette Cosnier, Marie Pape-Carpantier : fondatrice de l’école maternelle, Paris, Fayard, 2003.

39 Mère du peintre, envoyée en Angleterre par Cochin, elle y étudie les Infants schools pendant deux mois et rapporte une étude complète. Elle ouvrit une seconde salle d’asile à Paris avec Cochin, rue des martyrs. Puis elle dirige en 1828 la plus grande salle d’asile (1 000 enfants) fondée par Cochin.

40 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 54. Sur les enfants d’âge pré-primaire, voir Jean-Noël Luc, L’Invention du jeune enfant au xixe siècle. De la salle d’asile à l’école maternelle, Paris, Belin, 1997.

41 Pauline Kergomard fut inspectrice générale de 1881 à 1917 des écoles maternelles et imposa, contre toutes les idées reçues, l’idée d’un enseignement spécifique pour la petite enfance fondé sur le jeu, l’art, le sport et les exercices sensoriels. Elle prône aussi l’initiation à la lecture et l’écriture à cinq ans. Voir Éric Plaisance, Pauline Kergomard et l’école maternelle, PUF, Paris, 1996. Elle est la continuatrice de Pape-Carpantier.

42 Friedrich Fröebel né en 1782, mort en 1852 est un pédagogue, proche de Pestalozzi qui fonde les « jardins d’enfants » où une pédagogie concrète et ludique doit faire progresser les tous petits. Voir Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, Unesco, no 3-4, septembre-décembre 1993, p. 481-499.

43 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 54.

44 Hippolyte Carnot, cité par Paul Carnot, idem et dans Mémorial, dossier 8.

45 Militante de l’éducation populaire, saint-simonienne, Élisa Lemonnier fut la mère de l’enseignement professionnel pour femmes. En 1856, elle crée la Société de protection maternelle qui devient la Société pour l’enseignement professionnel des femmes en 1862. Elle loue un atelier et ouvre le 1er octobre 1862 à Paris la première école professionnelle pour jeunes filles.

46 En abaissant le seuil de moitié pour la construction d’une école, le projet complète la carte des écoles en comblant les vides dans les zones enclavées pauvres comme les montagnes. Il prolonge de la loi Guizot.

47 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

48 Hippolyte Carnot, cité dans Un député, Une famille républicaine, op. cit., p. 225-226.

49 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

50 Pour les deux citations, Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 55.

51 L’article 16 dit « toute école de plus de 150 élèves peut être divisée ou recevoir un ou plusieurs instituteurs ».

52 Hippolyte Carnot, Circulaire aux recteurs, 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 18-22.

53 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

54 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 10.

55 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 20-21.

56 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossiers 20-21. Pour le rôle civique de la gymnastique voir Gilbert Andrieu, L’éducation physique au xxe siècle, une histoire des pratiques, Paris, Actio, 1990 et Jacques Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, Paris, Vrin, 1977.

57 Le service militaire est créé en 1872 pour une durée de 5 ans maximum avec tirage au sort de la durée de la conscription (il n’est donc pas obligatoire) et de nombreuses exemptions, dont les séminaristes. Mais il faut attendre 1889 et surtout 1905 pour que la République supprime le tirage au sort (Loi Rouvier).

58 L’article 18-19 du statut du 25 avril 1834 sur l’application de la loi Guizot prévoyait un certificat d’études primaire : « D’après le résultat du second examen qui aura lieu à la fin de chaque année scolaire, il sera dressé une liste des élèves qui termineront leurs cours d’études. Et il sera délivré à chacun d’eux un certificat sur lequel le jugement des examinateurs pour chaque objet d’enseignement sera indiqué par l’un des mots : très bien, bien, assez bien ou mal. Mais il fut rarement organisé, hormis dans quelques départements comme la Seine-et-Oise en 1836. On peut penser Carnot, élu et habitant célèbre de ce département en eut vent.

59 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

60 Hippolyte Carnot, Mémorial, p. 23. Après sa chute, il se reproche de ne l’avoir pas fait assez.

61 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

62 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 8.

63 Il conserve le nom du lycée Charlemagne, un pilier du « récit national », mais nomme lycée Bonaparte le lycée des Capucins, Descartes le lycée Louis-le-Grand et Corneille le lycée Henri IV.

64 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 21 et Mémorial, dossier 14.

65 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 18, 50 et 22.

66 Hippolyte Carnot, circulaire du 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot le ministère, p. 23.

67 Cette expression renvoie directement à celle de « Hussards noirs » de Péguy déjà évoquée plus haut.

68 Hippolyte Carnot, notes sur la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5, Mémorial, dossier 8.

69 Cette fonction de militants des droits de l’homme, politiquement, mais pas philosophiquement neutres, préfigure celle de la circulaire « Sur l’instruction morale et civique » de Jules Ferry en novembre 1883. Elle évoque aussi la position de Ferdinand Buisson du 2 novembre 1882. (Voir plus loin).

70 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 12. La loi 1848 précise « les instituteurs sont nommés par l’État après un concours. » Il donne une qualification (le « certificat d’aptitude ») et ils sont payés par l’État.

71 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

72 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

73 Hippolyte Carnot, lettre aux recteurs, 27 février 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 22-26.

74 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 11, notes sur loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5.

75 Lettre aux recteurs, 6 mars 1848, Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 24.

76 Jules Simon, Notice historique, op. cit., et lettres à Carnot, AFP/HC/IV/carton B, d6.

77 Hippolyte, Carnot, Mémorial, dossiers 8-12.

78 Le Journal des débats mars s’exclame : « Il n’est pas juste puisqu’on a aboli les privilèges, d’en réserver un seul pour la fortune et l’éducation, le privilège de l’exclusion ». Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 68.

79 Hippolyte Carnot aux recteurs, 6 mars 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 25. Texte en annexe. Voir aussi les précisions du ministre, sur sa citation dans le « Moniteur », Paul Carnot, idem, p. 26-27.

80 Hippolyte Carnot, Considérations sur 1848, note de mai 1866, AFP/HC/V/d2-3.

81 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 13.

82 Alain Garrigou, Histoire sociale du suffrage, op. cit., le chapitre I « La société dans l’élection », p. 32-137.

83 Hippolyte Carnot, Circulaire du 6 mars 1848 dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 24

84 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6.

85 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 32.

86 Hippolyte Carnot, Mémorial, dossier 6.

87 Le mot est aussi, une référence au Catéchisme citoyen écrit par Volney, député du tiers-Etat de l’Anjou en 1792 dont la devise était : « Conserve-toi ; Instruis-toi ; Modère-toi ; Vis pour tes semblables, afin qu’ils vivent pour toi ». Il travailla sur l’enseignement de l’Histoire. Dans ce texte, il expliquait aussi que « l’instituteur n’est plus un simple marchand d’alphabet et d’arithmétique, mais un prêtre, un éducateur au sens plein du mot ».

88 Il est sûr que sous la Révolution, sa modération, son réformisme et sa confiance dans les populations locales, auraient classé Carnot chez les Girondins décentralisateurs plutôt que les Jacobins centralisateurs. Dans ses notes sur sa loi, Carnot explique : « nous sommes peut-être un peu trop centralisateurs dans notre projet […] Je crois que plus tard, […] il sera bon que la commune intervienne davantage », dans AFP/HC/IV/carton B, d5.

89 Il comportait quatre thèmes, notamment sur les Ateliers nationaux et l’éducation gratuite. Il s’assumait « révolutionnaire, mais rassurant grâce à la fraternité qui empêchera 1848 de ressembler à 1793 ».

90 Le catéchisme républicain ou Manuel du peuple, par Decoux cité par Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 70.

91 Manuel des droits et devoirs du citoyen du Lot-et-Garonne, AFP/HC/IV/carton B, d5.

92 Henri Martin, Manuel de l’Instituteur pour les élections, dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 71.

93 Charles Renouvier, né en 1815, est un polytechnicien, philosophe et saint-simonien, laïc et rédacteur de l’Encyclopédie nouvelle. Il s’oppose au coup d’État de 1851, est proche des socialistes et travaille sur Kant.

94 Charles Renouvier, Ibidem.

95 Lettre de Charles Renouvier à Carnot, février 1850, AFP, HC, IV, carton A, d2.

96 Rappelons-en les chapitres : La fin morale de l’homme/Fin morale de la société/De la République et de l’autorité d’une République/Devoirs de l’homme et du citoyen/droits de l’homme et du citoyen (notons que les devoirs précèdent les droits)/De la liberté/De la sûreté et la propriété/De la liberté de l’industrie/De l’égalité et de la fraternité/Devoirs et droits de la République/Du passé de la France/Des moyens immédiats du salut du peuple et de l’établissement de la Fraternité/Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen.

97 Hippolyte Carnot dans Paul Carnot, Hippolyte Carnot et le ministère, p. 34.

98 Hippolyte Carnot, notes préparatoires à la loi de 1848, AFP/HC/IV/carton B, d5. Voir chapitre IX.

99 Toutes les citations sont extraites du Manuel républicain de l’homme et du citoyen, de Charles Renouvier, édition Maurice Agulhon, Paris, Garnier, 1981. Les deux dernières ne dépareraient pas dans les manuels scolaires d’Ernest Lavisse ou le Tour de la France par deux enfants.

Table des illustrations

Légende Extrait d’un manuscrit de Carnot récapitulant ses textes sur l’enseignement primaire (1848) (AFP/HC/IV/carton B, d5)
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/17745/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 267k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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