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L'eau à découvert

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Agathe Euzen
, 
Catherine Jeandel
, 
Rémy Mosseri

Sixième partie. Eau et société

13. Peut-on expliquer le prix de l’eau ?

Rémi Barbier

Texte intégral

1Le niveau et le mode de fabrication du « prix de l’eau » sont devenus des objets d’attention collective depuis les années 1990, suite notamment à de fortes hausses et à quelques scandales retentissants. Techniquement, ce « prix de l’eau » correspond à la contrepartie monétaire des services d’alimentation en eau potable et d’assainissement* des eaux usées ; s’y ajoutent des prélèvements fiscaux, redevances des Agences de l’eau et TVA, dont la détermination échappe à la maîtrise des gestionnaires locaux (figure). Le montant global est généralement facturé par un seul gestionnaire, qui redistribue ensuite son dû à chaque bénéficiaire.

Des services qui ont un coût

2Les prestations de ce « petit cycle de l’eau » sont cadrées par un ensemble de règles ou de conventions. Elles établissent le niveau minimal des performances attendues, par exemple en matière de continuité de service, de potabilité ou de rejet dans le milieu naturel, de fuite des canalisations… Sur cette base, et en fonction également de leurs contraintes et objectifs propres, les autorités locales sélectionnent et mettent en œuvre des moyens matériels, financiers et humains, qui se traduisent au bout du compte par des coûts appelés à se refléter plus ou moins fidèlement dans le prix.

3Le niveau des coûts dépend de multiples facteurs : pertinence des choix opérés (enjeu du bon dimensionnement des équipements par exemple), montant nécessaire et rémunération des éventuels emprunts, efficacité gestionnaire, stratégie globale de l’autorité locale : périmètre d’exercice des compétences, choix du mode de gestion, politique patrimoniale… Il dépend également de paramètres sur lesquels le gestionnaire n’a que peu ou pas de prise : l’eau prélevée n’a pas partout la même qualité, l’habitat est plus ou moins dispersé… Soulignons, enfin, la prépondérance, jusqu’à 80 % du total, des coûts dits « fixes », qui correspondent à la mise à disposition de la capacité d’usage (pouvoir obtenir de l’eau à volonté), l’usage en tant que tel (faire couler le robinet) ne pesant que 20 %. C’est pourquoi, si la consommation, et donc les recettes, baissent face à des coûts plutôt stables, une hausse de prix peut être nécessaire pour maintenir l’équilibre budgétaire du service…

La couverture des coûts par le prix, mais pas seulement

4La couverture de ces coûts dépend d’un autre ensemble de conventions, qui guident l’arbitrage entre les contributions prélevées sur les usagers ou les contribuables, locaux ou supra-locaux au titre de la solidarité. En France, le paiement par l’usager, d’abord limité aux abonnés du « service privé » bénéficiant de l’eau à domicile, se généralise parallèlement au déclin des fontaines publiques et au raccordement au réseau, à la fin du XIXe siècle à Paris par exemple. Mais la contribution de l’usager est restée longtemps très partielle, réduite aux dépenses courantes de fonctionnement, tandis que les investissements étaient largement supportés par l’impôt. Aujourd’hui, la convention dominante, « l’eau paie l’eau », promeut une étanchéité du circuit de l’argent de l’eau pour responsabiliser des usagers qui ont donc vocation à payer tous les coûts de l’eau, et seulement eux. Un enjeu consiste alors à savoir si tous les coûts sont bien pris en compte (« consommation » annuelle du patrimoine par exemple), et si seuls des coûts effectivement rattachables au service contribuent à la formation du prix. Une expertise permet de répondre à ces interrogations.

5Le montant effectivement acquitté par l’usager n’apparaît en tant que prix dans une facture que pour les seuls abonnés équipés d’un compteur individuel et détenteurs d’un contrat, ce qui est rarement le cas pour les habitants des ensembles collectifs. Pour tous les autres, l’usage du service se traduira par une participation au prix acquitté en amont par un abonné collectif. Pour l’abonné, sauf exception, le montant de la facture dépend du niveau de consommation établi par le compteur et de la formule tarifaire. Cette dernière, toujours décidée par la collectivité responsable du service, est identique pour tous les usagers placés dans des situations semblables. Aujourd’hui, certaines collectivités expérimentent une tarification spécifique pour les plus démunis, au nom du droit à l’eau (cf. VI.6).

Répartition du prix total de l'eau, selon les charges directes et les redevances, en 2011. Source : Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Panorama des services et de leur performance en 2011, www.services.eaufrance.fr, octobre 2014

6La formule tarifaire comprendra souvent deux éléments : un abonnement, et un prix unitaire en €/m3. L’abonnement, non obligatoire mais largement pratiqué, est souvent contesté. En fait, d’un côté, on considère normal que le coût de mise à disposition du service, qui représente donc 80 % du coût total, soit couvert au moins en partie par une contribution fixe, même si le prix moyen du m3 payé par un petit consommateur sera alors automatiquement supérieur à celui payé par un gros consommateur. De l’autre côté, on considère que seule la consommation effective est légitime à déclencher un paiement, ce qui favorisera par exemple un occupant de résidence secondaire. Dans la pratique, des compromis ont abouti à un encadrement réglementaire de l’abonnement.

La gestion déléguée est-elle plus chère ?

7La lecture de la facture fait encore apparaître un autre enjeu sensible : la répartition éventuelle des responsabilités, et donc des dépenses, entre la collectivité et un éventuel opérateur privé (cf. VI.15). Dans ce cas, la tarification se dédouble à nouveau : d’un côté, celle destinée à couvrir les dépenses à la charge de la collectivité, comme par exemple certains investissements ; de l’autre, celle permettant à l’entreprise de tenir ses engagements sur la durée du contrat. Cette dernière tarification, avec ses valeurs initiales de l’abonnement et du prix unitaire et leur formule d’évolution annuelle, a été négociée au moment de la passation du contrat : elle résulte d’une combinaison complexe d’éléments, relevant à la fois d’éléments de coûts présentés par les entreprises et plus ou moins faciles à valider (dépenses de personnel, d’énergie, contributions aux frais de siège ou de recherche…), de l’intensité de la concurrence pour le marché, du contenu même du contrat, de l’engagement de la collectivité dans sa maîtrise et des outils que lui procure à cet effet la réglementation.

8Cette part concurrentielle du prix de l’eau, incluant une marge délicate à estimer, suscite de multiples controverses. Régulièrement, en effet, des statistiques viennent montrer qu’en moyenne, le prix de l’eau en gestion privée est supérieur à celui payé en gestion publique. La différence s’explique-t-elle par la capacité des entreprises à exploiter une situation qui, généralement, est en leur faveur, et à former ainsi des marges excessives, voire illégitimes par principe dès lors qu’est en jeu la fourniture d’un bien essentiel dans le cadre d’un service public ? Sur le strict plan factuel, la réponse n’est pas évidente. En particulier, en comparant toutes choses égales par ailleurs (taille de la collectivité, complexité d’exploitation du réseau…), les différences de prix apparaissent moins tranchées, même si demeure un écart de quelques % en défaveur de la gestion privée, surtout dans les collectivités de moins de 10 000 habitants.

Comparer les prix

9En raison de l’abonnement, on a a priori autant de prix de l’eau moyens que de couples niveau de consommation/tarif. Pour rendre possible des comparaisons et calculs de moyenne, il a fallu définir un abonné dit « de référence », consommant 120 m3 par an. C’est la facture et le prix moyen pour cet abonné de référence qui doivent figurer dans le rapport annuel sur le prix et la performance du service, et que l’on retrouve dans les bases d’un observatoire national (www.services.eaufrance.fr). Cela permet d’établir par exemple que le prix de l’eau moyen en France en 2011 s’élevait à 3,78 €/m3, soit un peu plus de 1 % du revenu moyen national des ménages. Mais il faut garder à l’esprit que ces moyennes masquent de grandes disparités spatiales et sociales.

Bibliographie

Références bibliographiques

• G. BOULEAU et L. GUÉRIN-SCHNEIDER – Des tuyaux et des hommes. Les réseaux d’eau en France, Quae, 2011.

• OCDE – Le prix de l'eau et des services d'eau potable et d'assainissement, Éditions OCDE, 2010.

Table des illustrations

Légende Répartition du prix total de l'eau, selon les charges directes et les redevances, en 2011. Source : Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Panorama des services et de leur performance en 2011, www.services.eaufrance.fr, octobre 2014
URL http://books.openedition.org/editionscnrs/docannexe/image/10055/img-1.jpg
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