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La vie communautaire et le service à la communauté

 | 
Anne Massoni
, 
Maria Amélia Campos

Conclusions

Maria Cristina Cunha

Texte intégral

1Ce livre présente différentes approches des chapitres séculiers, ainsi que des communautés laïques, comme c'est le cas pour les confréries, qui se sont développées à l'ombre des cathédrales, des églises collégiales ou même paroissiales, dans le courant du Moyen Âge. Les textes rassemblés ont été écrits par des chercheurs de plusieurs pays qui étudient depuis longtemps ces thèmes liés aux institutions qui, étant elles-mêmes des communautés, se sont consacrées au service de la société dans laquelle elles étaient insérées en général. L'objectif global de ces études était d’identifier, dans une vaste géographie, les caractéristiques communes de diverses institutions religieuses non monastiques (qu'il s'agisse d'un chapitre ou d'une confrérie, même composée seulement de laïcs), et les vecteurs d’influences détectés entre elles et entre leurs membres et le monde civil qui les entourait.

2Indépendamment de l'espace dans lequel ils étaient implantés, les différents groupes qui prônaient une vie communautaire avaient une structure similaire, ce qui ressort des hiérarchies internes qui les structuraient et de la tenue de réunions périodiques, auxquelles tous les membres de la communauté participaient. Dans chacun d'eux, figurent les obligations des membres envers la communauté elle-même, dont le partage de la table une fois par an, par exemple. Dans le cas des confréries, qu'elles soient laïques ou ouvertes aux membres du clergé du bas-chœur au sein des cathédrales, ce sont ces obligations qui ont renforcé les solidarités internes (notamment par leur engagement à s’entraider dans la maladie), et qui ont justifié leur existence par la pratique d’une vie religieuse intense, comprenant des prières de suffrage pour les âmes des membres des institutions et de leurs bienfaiteurs (M. H. Coelho).

3La diversité des institutions couvertes montre avec évidence l'hétérogénéité des formes médiévales de vie communautaire, notamment de celles qui se sont développées en milieu urbain (à proximité des cathédrales ou en collégiales). E. Kurdziel, à partir des sources italiennes qu'elle a étudiées, souligne les différentes modalités que peut prendre cette vie, résultant d'une part de l'activité de certains évêques qui, jusqu'au milieu du XIsiècle, ont cherché à renforcer la vita communis avec les chanoines de leur cathédrale, et d'autre part, de la résistance de ces chanoines à l'adoption de tels modèles. Cette situation est très différente de celle observée après la Réforme grégorienne, alors que la vie canoniale apparaît toujours attractive aux yeux des fidèles. Dans le Midi de la France, au XIIe siècle, la volonté de nombreux laïcs de faire partie des communautés de chanoines est évidente (A. Massoni), car cela garantissait non seulement les prières post mortem, mais permettait aussi de bénéficier des pratiques d’assistance et de soutien fraternel, à savoir la nourriture et l’hébergement. Toute la gamme de solutions trouvées explique la variété du vocabulaire (par exemple conversus, frater et clericus) qui apparaît dans la documentation, catégorisant en quelque sorte les fidèles qui étaient liés à la communauté.

4À partir du moment où la vita communis disparut des chapitres (dans les cathédrales mais aussi les églises collégiales), et surtout, lorsque les rentes furent partagées (entre les menses épiscopale ou priorale et la mense capitulaire), les communautés canoniales ont cherché des moyens de « contraindre » les religieux qui en faisaient partie à exercer régulièrement la fonction pour laquelle ils avaient été choisis. C’est alors que la distribution des revenus après la célébration des offices divins devint une manière de combattre l’absentéisme (V. Tabbagh). Cette distribution, qui garantissait la présence régulière du clergé dans le chœur, également repérée dans les collégiales de Coimbra (M. A. Campos), a obligé les chanoines à avoir une comptabilité organisée et un contrôle strict du respect de leurs obligations. Et pour cela, il a été démontré à Coimbra comme en Catalogne (J. Conesa Soriano), que les communautés ecclésiastiques faisaient bon usage de leur connaissance du monde laïc et de leur facilité à intervenir dans différents milieux sociaux et économiques.

5La fin du partage de la commensalité au réfectoire et éventuellement, du côtoiement des lits dans un même bâtiment, a également entraîné la suppression de certaines fonctions et, par conséquent, l'apparition d'autres personnes dans l’entourage des chapitres, qui faisaient partie de la familia de tel ou tel chanoine, qu’ils remplaçaient dans l'accomplissement de leurs obligations. Autour des chanoines, des serviteurs de différentes catégories gravitaient, créant des hiérarchies qui étaient souvent à l’origine de conflits internes, justifiant l'existence d'une justice spécifique (V. Tabbagh). Une solution similaire fut trouvée dans le monde laïc : les confréries se présentaient comme un moyen de résoudre les conflits qui surgirent entre des laïcs appartenant au même groupe social ou professionnel, en s'inspirant, également à cet égard, des communautés canoniales (M. H. Coelho). De même, les conflits à l'extérieur des communautés, dans des espaces plus ou moins proches, étaient souvent résolus par leurs membres. On se souvient de l'action des vicaires épiscopaux, choisis en pratique par les chapitres, dans la gestion de conflits au sein du diocèse (J. Conesa Soriano).

6La façon dont les chapitres médiévaux et le monde laïc s'entrelaçaient, est donc très variée. Tout d'abord, parce que les laïcs n'étaient pas seulement les bienfaiteurs des communautés canoniales, mais ont également agi en tant que fondateurs des institutions qui prieraient pour eux après leur mort. Et, dans ce contexte concret, le rôle de l'aristocratie n'est pas négligeable, car les seigneurs cherchaient à entretenir le soin de leur âme, en plus d'un espace funéraire, qui transmettrait en quelque sorte à la postérité l'importance de leur mémoire et de leur lignage (S. Gomes). En plus de la noblesse du sang, l'aristocratie urbaine était également étroitement liée aux communautés canoniales : en fait, c'était dans les élites locales que les chapitres, notamment ceux des cathédrales, allaient chercher bon nombre de leurs éléments, amenant la même famille à participer à l’administration religieuse et civile de la ville. Habituellement détentrices du pouvoir économique, ces familles ont cherché à perpétuer leur nom en faisant des dons en échange des suffrages, en fondant des messes d'anniversaire. Les calendriers liturgiques, obituaires et même martyrologes, en plus d'autres documents qui se réfèrent plus ou moins directement à la préparation spirituelle et matérielle de la mort (comme les testaments, par exemple) reflètent cette relation entre les cathédrales et leurs communautés canoniales avec la population laïque. Malgré les différences évidentes entre les institutions religieuses, le culte des morts apparaît comme le vecteur fondamental de la relation des laïcs avec le clergé (Th. Pécout). Cependant, comme cela a été souligné dans plusieurs textes du livre, ces sources et d'autres « notices nécrologiques », telles que les fondations de chapelles (cérémonies de suffrage), ne permettent pas une approche globale de la population laïque qui était en quelque sorte liée à une église en particulier, qu'elle soit cathédrale, collégiale ou paroissiale (M. A. Campos 2). En fait, elles renvoient le chercheur aux dispositions et stratégies liées au salut des âmes, uniquement pour les membres de familles économiquement favorisées.

7La relation entre les communautés de chanoines et les laïcs incluait également la présence de ces dernières dans l'espace religieux pour participer aux célébrations. Lorsque les cathédrales fonctionnaient également comme des sièges de paroisse, il appartenait aux chapitres de répartir les célébrations entre celles dédiées aux paroissiens et celles dédiées exclusivement aux membres du clergé de la communauté canoniale. Et les cathédrales ont connu une distribution particulière des espaces de célébration, certains d'entre eux réservés aux laïcs (E. Carrero Santamaria). C'est dans ce contexte qu'apparurent dans la cathédrale des chapelles fondées avec une intention particulière, qui au fil du temps acquirent des fonctions paroissiales, au service de fidèles s’étant rapprochés du siège diocésain. En même temps, d’autres ont continué à préférer la participation aux offices célébrés au maître-autel par les évêques et les chanoines, en recherchant des endroits (comme le transept) d’où ils pourraient mieux observer ce qui se passait, en particulier pendant les célébrations des jours de fête. Les moniales de certains ordres monastiques participaient souvent à ces célébrations, à la demande de prélats eux-mêmes (après un premier moment de méfiance à l'égard des nouveaux ordres), réalisant que leur oratoire était capable d'attirer les fidèles à la cathédrale et rappelant que c'était dans cet espace qu'ils devaient se rendre pour assister aux services liturgiques et sacramentels : baptêmes, mariages, funérailles (E. Carrero Santamaria).

8Mais ce n'est pas seulement pour participer aux célébrations que le monde laïc est entré dans l'espace ecclésiastique. À Barcelone, les responsables municipaux se sont souvent tournés vers les chanoines de la cathédrale pour résoudre les affaires municipales, profitant de leur réseau de contacts, voire pour obtenir leur soutien dans une réclamation auprès d'autres autorités. Les confréries, en tant qu'associations religieuses de laïcs, ont également essayé d'adopter des modèles d'administration qu'elles voyaient appliqués dans de plus grands espaces, en dehors de leur groupe. Il suffit de rappeler les similitudes entre les structures des autorités qui régissaient les différentes confréries portugaises et celles du monde municipal, similitudes qui se manifestent, par exemple, par l'existence de plusieurs agents chargés de l'application des statuts (M. H. Coelho). Et même lorsque les formes de gestion économique municipale n'étaient pas identiques à celles des communautés religieuses, on a constaté que les actions des échevins et des chanoines étaient similaires en ce qui concerne les stratégies de récupération économique menées à la fin du XVe siècle (J. Soriano Conesa).

9La relation entre ces institutions religieuses et les laïcs fonctionne, comme il est facile de le voir, dans deux sens : si les fidèles y cherchent des avantages, dans la vie terrestre ou post mortem, il arrive que les communautés canoniales profitent de leur lien avec le monde laïc pour construire ce qu'on a appelé une « communauté d'intérêts » (J. Soriano Conesa). Tout d'abord parce que les services divins qu'ils se sont engagés à fournir ont été compensés par des dons en patrimoine. À partir du moment où l'obligation de vivre ensemble a lentement disparu, comme mentionné plus haut, les chanoines ont été les protagonistes de nouvelles formes de gestion économique. La division de leurs revenus en prébendes, qu’ils recevaient même s'ils étaient absents de "leur" église, a conduit à une "liberté de gestion" (V. Tabbagh) qui permettait à chacun de vivre selon sa volonté ou son intérêt. La gestion du patrimoine capitulaire (individuel et collectif) a fait que les chapitres se sont tournés vers le monde laïque pour rechercher une série de personnes exerçant des professions pour eux indispensables, comme les scribes, ou même les notaires, sans parler des autres serviteurs qui souvent ne sont pas mentionnés dans la documentation. Ces laïcs avaient souvent des liens familiaux avec les chanoines eux-mêmes, et participaient à l'administration de l'institution, influençant dans une certaine mesure son fonctionnement (J. Soriano Conesa).

10Les communautés canoniales ont donc cherché dans le monde laïc la résolution de questions liées à leur vie quotidienne, qu'elles soient ou non associées à l'acquisition et à l'administration de leurs biens. Si, jusqu'au XIIIe siècle, divers agents extérieurs aux communautés ecclésiastiques de Coimbra ont fréquemment utilisé les services de ces dernières, non seulement pour rédiger les documents dont ils avaient besoin, mais aussi pour les authentifier (R. Morujão), après l'apparition du notariat public à partir de la deuxième décennie du XIIIe siècle, ce sont les tabellions qui, de plus en plus, se sont chargés de rédiger et de valider les documents non seulement de la population laïque, mais aussi des chanoines lorsqu'ils agissaient à titre privé, ou lorsque leur institution voulait réaliser certaines affaires. Il n'est donc pas étonnant que les tabellions publics, liés de manière générale au monde laïc, aient circulé dans les espaces ecclésiastiques, et aient travaillé dans l'audience épiscopale, comme on l'a constaté à Braga (M. C. Cunha). Ainsi, en plus des clercs qui existaient dans la curie épiscopale, les chanoines attiraient des tabellions publics à la cathédrale pour rédiger certains actes (les collactioni clerici, par exemple), qu'ils validaient avec leur seing manuel, et qui étaient rédigés selon un formulaire commun à d'autres documents établis dans le même espace du siège par des scribes anonymes. L'ouverture des espaces d'écriture des cathédrales aux laïcs, ou du moins à d'autres personnes qui n'étaient pas des clercs du siège, a peut-être été l'un des facteurs qui ont fait coexister la souscription notariale et l'apposition de sceaux, les deux formes de validation coexistant dans de nombreux actes.

11La rédaction de ces documents, ainsi que d'autres manuscrits, atteste l'existence de scriptoria de dimensions variables, qui, avec les écoles que fréquentaient les chanoines (des collégiales, mais aussi des cathédrales), fonctionnaient comme des pôles culturels d'importance dans la formation des laïcs. Dans ces scriptoria, des livres de nature variée, comme des Bibles, des livres liturgiques, hagiographiques ou de théologie morale, ont été produits et ont alimenté des bibliothèques dont divers inventaires nous parlent, et qui nous indiquent que les membres de ces communautés avaient une sensibilité religieuse proche de celle des moines cisterciens (S. Guijarro). L'existence de ces manuscrits et d'autres dans les églises collégiales ou dans les cathédrales montre qu'il existait d'innombrables magistri dont la fonction était de préparer les clercs (mais aussi les laïcs) dans divers domaines du savoir. C'est la formation acquise dans ces communautés qui a permis aux laïcs d'accéder à diverses fonctions dans le monde civil, comme notaires, conseillers et officiers royaux à des niveaux très variés. En ce sens, on peut affirmer que les communautés canoniales ne se furent pas refermées sur elles-mêmes et que leurs membres ont cherché, plus encore que ceux des ordres monastiques, à concilier la recherche de la perfection individuelle avec le service des fidèles qui les côtoyaient.

12Tout au long des pages qui composent ce livre, l'idée que les communautés de chanoines, selon leur taille et le but pour lequel elles avaient été fondées, ont contribué à nourrir les liens entre les églises et les fidèles et à diffuser les réformes morales et liturgiques de l'Église, au sein desquels dans le rituel de la mort, la prière pour les âmes est constamment relevée. Bien sûr, de nombreux aspects sont restés sans réponse, mais les réflexions publiées aujourd'hui sont un premier pas vers une meilleure compréhension du monde canonial et de ses interactions avec le monde laïque. La comparaison de différentes réalités, englobant des communautés de dimensions très variées (des chanoines de cathédrales aux membres de petites congrégations collégiales, de portée plus restreinte) dans des espaces aussi distincts que la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal, a été la ligne directrice de discussions fructueuses lors des sessions des rencontres, mais elle sera aussi, on l'espère, le point de départ de nouvelles réflexions sur le monde canonial, dans ses immenses perspectives.

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