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Lectures numériques

 | 
Paul Gaudric
, 
Gérard Mauger
, 
Xavier Zunigo

III. Lectures et lecteurs de la presse numérique

Testo integrale

  • 1 Enquête Mediapolis, « Information politique et citoyenneté à l’ère numérique », sous la direction d (...)

1Si la télévision reste, loin devant la presse papier et la radio1, la principale source d’information pour 50 % des Français, le Web s’impose progressivement : il serait consulté pour s’informer par près de 12 % de la population, notamment par les moins de 35 ans pour lesquels il s’agit de la deuxième source d’information. Ainsi, dans le cadre de notre enquête, où les propriétés sociales des enquêtés (urbains, âge moyen, CSP+, grands lecteurs, etc.) font que la lecture quotidienne de la presse payante devrait être surreprésentée, rares sont ceux qui achètent encore un quotidien, alors que la quasi-totalité d’entre eux lit quotidiennement la presse sur Internet.

Part des lecteurs quotidiens de la presse

Part des lecteurs quotidiens de la presse

Source : Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, ministère de la Culture et de la Communication / La Découverte, 2009.

  • 2 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », in Josiane Jouët, (...)
  • 3 Fabien Granjon, Aurélien Le Foulgoc, « Les usages sociaux de l’actualité. L’expérience médiatique d (...)
  • 4 Viviane Le Hay, Thierry Vedel, Flora Chanvril, « Usages des médias et politique : une écologie des (...)

2Mais l’engouement pour la presse numérique change-t-il radicalement les pratiques de lecture de la presse écrite ? Le développement de l’information en ligne s’est accompagné d’un discours sur « l’ivresse des individus face aux flots d’actualité » et l’affranchissement des déterminismes sociaux2. Selon ces analyses postmodernes, la diversification des supports d’informations et l’affaiblissement supposé des effets des propriétés sociales auraient provoqué une « perte de repères » au sein de l’offre médiatique et un éparpillement des pratiques informationnelles. En fait, les études récentes sur le lectorat de la presse numérique montrent au contraire le caractère déterminant des propriétés sociales dans la réception de l’information. Les plus attentifs à la chose publique, détenteurs d’un niveau de diplôme élevé, font davantage usage d’Internet pour s’informer, et en profitent pour élargir leurs lectures en diversifiant leurs sources d’information3. De façon générale, la lecture d’informations politiques sur Internet est essentiellement le fait des jeunes générations (« digital natives ») et des catégories les plus diplômées qui associent plusieurs médias : presse papier, Internet, radio, etc.4.

3Chez les lecteurs numériques rencontrés dans le cadre de l’enquête, la distribution des pratiques dépend manifestement du niveau de diplôme et des habitudes familiales (une enquête quantitative permettrait de le vérifier). Ceux qui déclarent lire peu ou ne pas lire la presse sont les moins diplômés. Marc, 41 ans, titulaire d’un BTS domotique et qui a construit sa carrière dans les métiers de l’informatique, déclare ainsi :

  • 5 Les « Digital Rights Management » (DRM) sont les mesures techniques de protection qui ont pour obje (...)

« Je lis très rarement la presse. Quand je lis, c’est très souvent pour m’évader. Je peux lire un peu de tout, il m’arrive même de lire Paris Match quand je n’ai rien d’autre à me mettre sous la dent, par exemple chez le dentiste, j’ai besoin de lire. La presse, je l’ai sur Internet, je vais suivre l’actualité politique lorsqu’elle va s’intéresser à tout ce qui est du domaine de l’informatique, les DRM5 par exemple. La politique internationale, j’en ai dès que je branche la télé. La politique française, ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse le plus. L’économie, je n’y comprends rien, et puis, les faits divers, non. Mise à part l’actualité spécifique qui touche les domaines qui m’intéressent, je ne suis pas un gros consommateur d’actualité. » (Marc, 41 ans, informaticien, équipé d’une tablette et d’une liseuse, technophile)

4À l’inverse, les plus diplômés sont de grands consommateurs d’informations sur divers supports et médias. Jonathan, 38 ans, titulaire d’un master de droit public, grand lecteur de presse, membre d’un cabinet ministériel et fils d’enseignants, se décrit ainsi comme « un drogué de l’info » :

« Je suis un drogué de l’info. Depuis que j’ai eu mon premier poste de radio à 7 ou 8 ans, j’écoute la radio le matin, le soir, depuis cet âge-là, et je lis des journaux quasiment depuis que je sais lire. C’était lié à une pratique de l’info familiale : on ne regardait pas forcément les “20 heures”, mais par contre, on écoutait France Inter le matin, le midi et le soir. Je crois que j’ai écouté les journaux de 8 heures, 13 heures et 19 heures pendant très longtemps. Mes parents étaient profs, et du coup, la pratique de l’info, c’était plutôt une écoute familiale. Moins le “20 heures” de la TV parce que mes parents n’aimaient pas forcément regarder la TV, mais, par contre, des temps de débats liés à l’info, les repas se déroulant au rythme des titres, et mes parents étaient très entraînants. On a une pratique du dialogue, de la politique. Il y a toujours eu des journaux chez moi. » (Jonathan H., 38 ans, membre d’un cabinet ministériel, équipé d’une tablette)

  • 6 Eliseo Verón, « L’analyse du “contrat de lecture” : une nouvelle méthode pour les études du posit (...)

5Le numérique ne transforme ni les légitimités ni les hiérarchies en matière d’actualité. Mais à la différence des livres numériques qui ne semblent pas avoir réellement changé les standards de la lecture intensive, la numérisation de la presse paraît avoir modifié le « contrat de lecture6 » qui la liait à ses lecteurs, en termes de temporalité (flux continu), de manière de lire (multimédia) et de diversification des sources (accès à un grand nombre de titres de presse, liens hypertextes, etc.).

Du « rendez-vous quotidien avec son journal » à la lecture discontinue d’un flux permanent d’informations

De la fidélité à un titre au balayage quotidien de la presse numérique

  • 7 À l’exception notoire du Canard enchaîné, tous les grands organes de presse français ont développé (...)

6L’accès à la presse sous un format numérique a multiplié le nombre de journaux lus7. L’accessibilité de l’offre délite les logiques de fidélité à un titre. Une majorité de lecteurs numériques déclare ainsi lire chaque jour plusieurs journaux en ligne :

« Je lis la BBC et The Guardian. De temps en temps, je feuilletais Der Spiegel en version anglaise pour voir un peu… et aussi parfois Al Jazeera si c’est quelque chose sur le Moyen-Orient pour avoir quelque chose d’un peu plus centré. Et après Libération et Le Monde pendant que je suis ici, je les feuillette brièvement sur Internet […]. Et j’ai comme ça un peu la presse mondiale en quinze, trente minutes. » (Alban, étudiant, 22 ans, équipé d’une liseuse)

« Le matin, je commence la journée avec ça. La première chose, le journal, trois, quatre ou cinq journaux, les premières pages. Français, anglais et mexicain. […] Le Guardian, je lis beaucoup, le New York Times aussi. » (Arturo, scénariste et éditeur, 33 ans, équipé d’une tablette et d’une liseuse)

« Dans la journée, je vais très régulièrement sur tous les sites des médias. J’ai un rituel : j’arrive le matin, j’ouvre ma boîte mail pro, ma boîte mail perso, Facebook que je consulte rapidement, et ensuite, je fais dans l’ordre : Libé, Le Figaro, Le Parisien, Le Monde, Le Nouvel Obs, Rue89, 20 minutes, Métro. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

« Je suis un peu un “information junkie”. Je lis la presse tous les matins, je lis trois quotidiens au minimum, voire plus. Je lis les titres, les flux RSS, et je lis en diagonale, je papillonne. J’aime bien avoir ce tour d’horizon de haut. J’ai une série de flux RSS à différents niveaux, sur l’iPhone, sur le Mac. » (Benjamin, développeur de logiciels, 56 ans, équipé d’une tablette, technophile averti)

7Les raisons qui incitent à consulter quotidiennement plusieurs titres de presse sont diverses. Il peut s’agir, comme l’explique Arturo, scénariste et éditeur trentenaire, d’accéder à une information qu’il estime « objective » en alternant la lecture de titres dont les orientations politiques sont différentes :

« Pour les journaux mexicains, je change chaque jour : un de droite, un du centre, un de gauche, et après je recommence. » (Arturo, scénariste et éditeur, 33 ans, équipé d’une tablette et d’une liseuse)

8De même, selon Thierry, fonctionnaire trentenaire et militant politique, la presse numérique lui permet d’accéder à différentes opinions :

« Il y a deux catégories de journaux, on va dire : il y a ceux que je lis parce qu’il faut savoir ce que l’ennemi dit, et il y a ceux que je lis parce que je trouve ça intéressant. Donc l’ennemi, pour moi, c’est Le Monde, c’est Libé, c’est toute la presse mainstream. Il faut que je sache ce que les gens disent et pourquoi. Et après, il y a ce qui m’intéresse vraiment moi, donc ce sera Le Monde Diplo, Acrimed, le CADTM… des trucs de gaucho, hein ! » (Thierry, fonctionnaire des impôts, 32 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

9Selon Michèle, chercheuse retraitée, la lecture de plusieurs titres remplit des fonctions différentes. Michèle privilégie certains sites pour l’information immédiate et continue, d’autres pour les analyses qu’ils proposent :

« Avant, tous les soirs, je lisais Le Monde, ça prend du temps. Et là, je ne sais pas, je regarde, L’Obs, Le Figaro, parce qu’ils ont une présentation des nouvelles, des brèves, qui est extrêmement bien faite, très mise à jour quand on veut savoir ce qui se passe immédiatement. Un peu stupidement, comme si on était pressé… Pour lire des articles un peu sérieux, ce qu’il n’y a plus dans aucun journal de presse quotidienne, eh bien, il y a Mediapart. On peut critiquer certains points, c’est pas nécessairement ma tasse de thé, mais bon, je trouve que c’est encore, bon, c’est ce qu’il y a de mieux, et c’est lisible. » (Michèle, chercheuse en sciences sociales retraitée, 65 ans, équipé d’une tablette)

10Julien N., collaborateur d’élu, trentenaire, explique qu’il se rend régulièrement sur le site du Figaro non pas pour la ligne éditoriale, qu’il ne partage pas, mais pour l’actualisation de l’information, qu’il estime être la plus réactive.

« Je consulte énormément Le Figaro parce qu’ils ont un site Internet et une appli qui sont extrêmement bien faits, c’est vraiment les meilleurs là-dessus aujourd’hui. Le fil d’informations est le plus réactif. Libération a toujours un temps de retard en ligne, Le Monde un peu moins. Le Figaro, c’est tout de suite ! Le Figaro, j’y vais pour ça, pour voir la réactivité du fil d’actu. Ils ont un petit fil sur la droite qui est hyperactif. Les articles, je les lis aussi, mais moins. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

11Certains considèrent que la diversité de la presse numérique permet d’élaborer sa propre ligne éditoriale et de s’affranchir ainsi de celle qu’imposerait la lecture d’un seul journal :

« On achète Le Figaro parce qu’on est à droite, on se renforce dans ses idées, mais du coup, on n’apprend rien, quoi. On ne parle à personne. Internet, au contraire, c’est plus varié. Moi, je me fais ma propre ligne éditoriale. » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

12Reste que la lecture quotidienne de plusieurs titres n’est pas nouvelle. Diversifier ses lectures, trier, sélectionner, croiser opinions et points de vue pour « se faire une opinion » en étant aussi autonome que possible par rapport aux médias est une pratique distinctive des catégories sociales les plus dotées culturellement. Mais on peut supposer que le numérique, par la possibilité inédite qu’il offre d’accéder gratuitement, rapidement et parfois même involontairement (via des liens hypertextes) à un très grand nombre de titres, a banalisé cette pratique et l’a consolidée chez les anciens pratiquants.

  • 8 À propos de la télévision, Bernard Lahire évoque la manière dont certains téléspectateurs « cultivé (...)

13Corollairement, la presse numérique écarte le sentiment d’illégitimité associé à certaines lectures. L’achat d’un titre papier a un « pouvoir classant » beaucoup plus fort que la consultation de titres sur Internet : acheter Le Figaro est un identificateur « de droite », alors que consulter la presse de droite en ligne est un indicateur de curiosité et de volonté de s’informer pour construire une opinion étayée. C’est pourquoi les lecteurs de la presse numérique évoquent sans doute plus spontanément des lectures qu’ils auraient autrefois cachées8, tout en maintenant une hiérarchie sans équivoque entre les titres qu’ils lisent quotidiennement.

Lire la presse, en tout lieu, en tout temps

14Outre la lecture quasiment quotidienne de plusieurs titres, le numérique a ouvert la possibilité de lire la presse en tout lieu et à tout moment :

« Au fur et à mesure de la journée ou dès que je commence à bosser, c’est le “check” : check e-mails pros, check e-mails perso, et check Le Monde. Il se passe quoi dans le monde ? » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

« Cela m’arrive de lire un peu sur ordi et de lire les journaux en ligne au travail. Oui, moi, on me demande de faire un boulot pour telle deadline ; après, on ne va pas regarder comment j’organise mon temps. » (Mélissa, informaticienne, 40 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse, technophile)

15La lecture de la presse est alors souvent « une liberté » permise ou prise. Plus que la satisfaction d’un réel besoin d’information, la lecture de la presse est souvent un moyen d’évasion hors des contraintes du monde professionnel :

« C’est aussi tout l’avantage des tablettes et des smartphones : c’est que je peux lire partout, même dans des réunions où je suis obligé d’aller et qui ne m’intéressent pas du tout. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

« Si vraiment je suis fatiguée et que j’ai pas envie de travailler, j’ouvre le journal sur mon navigateur. C’est parce que je décide de couper avec le travail. Il y a des jours, je vois l’heure tourner, et j’ai pas envie de travailler, je suis bloquée, alors je regarde un peu les journaux. Je procrastine un peu, alors je me refais une revue de presse, mais c’est pareil, ça dure vingt minutes. Je me refais une deuxième session dans la journée, ça permet de me dire : “Allez, je m’y remets dans vingt minutes”, et en attendant, j’ai pas trop mauvaise conscience parce que je lis des trucs, j’apprends des choses. » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

  • 9 Selon les recommandations de la Cnil, l’utilisation d’Internet au travail à titre personnel ne doit (...)

16Cette pratique semble tolérée – même si les employeurs oscillent entre répression et indulgence9 –, notamment parce qu’elle est beaucoup moins visible que la lecture d’un journal papier et se dilue dans l’usage professionnel de l’informatique :

« Non, s’il y a pas grand-chose à faire, il n’y a personne qui va rien dire. Par contre, si quelqu’un attend un truc qu’on a à faire, on se cache. J’ai un rapport plutôt serein à ça. C’est quelque chose qui se fait. » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

17On peut ainsi supposer que l’utilisation d’Internet au travail, notamment dans les emplois de bureau, engendre des changements majeurs dans le rapport des salariés au temps de travail. Ainsi, Thierry H., fonctionnaire de 32 ans, ne peut pas imaginer son emploi sans la possibilité de lire la presse sur son lieu de travail :

« Moi, objectivement comme ça, effectivement, je lis beaucoup plus. Là, par exemple, concrètement, on serait vingt-cinq ans en avant, je me ramènerais pas avec mon journal au taf. Je ne sais pas ce que je foutrais aux moments où j’ai rien à foutre, mais en tout cas, ça me fait plus lire. » (Thierry, fonctionnaire des impôts, 32 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

18Avec la diffusion de l’Internet mobile, la lecture sur écran comble désormais des « moments vides », non seulement au travail mais à tout moment de la journée :

« Je regarde l’actu dès que j’ai cinq minutes, en fait. Je ne prends pas beaucoup le métro, mais si, par hasard, je prends le métro, je lis sur mon téléphone, quand je me brosse les dents aussi, quand j’attends quelqu’un… bref, dès que j’ai cinq minutes. » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

« T’as de plus en plus un nomadisme des usages : les tablettes, l’ordi portable, le téléphone. Tout ce que tu pouvais faire avant en termes de consultation, tu peux maintenant le faire partout, et tu te retrouves avec des comportements où, à la moindre interrogation, tu vas directement chercher l’information sur Internet. C’est la fin du : “On appelle un ami pour vérifier le truc.” T’as accès directement à l’info. Ce qui change beaucoup, c’est que, où que tu sois, tu peux avoir accès à tout type d’info, qu’elle soit importante ou complètement dérisoire. Ça, tu le retrouves beaucoup, je le constate, je le fais pas mal, et d’autres aussi. » (Jérôme, chargé de projet TIC, 32 ans, équipé d’une tablette)

Une nouvelle manière de naviguer dans la page d’un journal

19L’expression « surfer sur le Web » met l’accent sur le fait que la consultation du Web conduit à suivre des hyperliens de page en page. Les enquêtés expriment ainsi le sentiment de se laisser guider sans but précis, cherchant parfois plus à « passer le temps » qu’une information précise.

  • 10 Starlette issue de la téléréalité qui a connu, pendant quelques mois en 2013, une notoriété relativ (...)

« C’est vrai que quand je vais sur les sites d’informations, je ne vais pas chercher quelque chose. Je vais sur les sites d’informations pour m’informer, donc je prends ce qu’on me donne pour capter une info et si, parmi ces infos, il y a Nabila10, il est possible que j’y aille. Après, je ne vous dis pas que Nabila… J’ai fini par y aller parce que tout le monde en parlait, mais, a priori, ça ne m’intéressait pas tellement, mais bon, j’ai fini par y aller… » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

20L’information apparaît ainsi fractionnée, tant dans l’espace (multiplication des sites, des sources, des liens) que dans le temps (actualisation permanente des sites d’informations). Elle est de plus en plus assimilée à un flux continu d’informations sans qu’il y ait nécessairement de cohérence entre elles :

« Ce qui est intéressant, c’est que j’imagine que quand on fait un journal et qu’on a une ligne éditoriale, on le fait en essayant de donner une cohérence, de raconter une histoire. Alors que quand on lit sur l’appli du journal, on sort de cette histoire, et on va vraiment picorer des trucs à droite à gauche. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

21Les titres de presse classique ne reproduisent pas exactement leur contenu papier sur leur site internet. Les deux formats n’ont pas les mêmes règles ni les mêmes lectorats. Mary C., critique littéraire dans un journal culturel, explique ainsi :

« Ce qui est bizarre, c’est que le site accentue la veine un peu pop et rock’n’roll qui n’est pas forcément pensée pour le journal papier, qui se présente plus aujourd’hui comme un canard généraliste, un peu plus normatif… un peu plus sage… Alors que le site, c’est l’idée d’un contenu rajeuni. Les critiques de livres qui passent sur le site parlent de livres qui mettent en avant ce caractère un peu pop et jeune, genre le sexe, la musique, l’actu ou des personnages un peu publics, célèbres. […] Ils markettent le truc : ils sélectionnent sur le site les articles dont ils pensent qu’ils ont le plus de chances d’être lus. » (Mary, critique littéraire, 33 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse)

22C’est ce que constate également Jonathan, collaborateur d’élu, à propos du Figaro qui, selon lui, vise désormais deux lectorats : l’un numérique et politiquement neutre, l’autre papier et plus conservateur :

« Ce qui était étonnant dans Le Figaro pendant longtemps, c’est que Le Figaro Web avait une ligne éditoriale qui n’avait rien à voir avec Le Figaro papier, c’était impressionnant. En gros, c’était en lien avec sa cible numérique, donc plutôt assez neutre politiquement, et la version papier, elle était ultra-conservatrice. Et je ne parle pas du magazine, qui est un sombre torchon. Et aujourd’hui, comme les rédactions se rapprochent, ils font gaffe à ce qu’il n’y ait pas trop de décalage. En même temps, comme c’est le premier site d’info, ils essaient d’être plus larges. » (Jonathan, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette)

23Cette transformation du format, de l’ordonnancement des articles, du contenu et de la ligne éditoriale n’est pas sans effets sur les lecteurs. Parmi eux, certains ne voient plus la différence entre la presse écrite et d’autres médias :

« Je suis quand même plutôt au courant de la plupart des sujets et des choses qui se passent, mais c’est vrai que je ne vois pas la différence entre l’écouter à la radio et le lire. » (Gabrielle, consultante en marketing numérique, 28 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse, technophile)

24La presse numérique implique une adaptation et un apprentissage des lecteurs :

« Quand je vais dans un journal, sur un site ou une appli, je sais directement où je vais en fait. D’ailleurs, dans mes pratiques, il y a quelques années, il fallait que j’aille deux, trois fois sur un site pour me repérer, alors que maintenant, j’y vais une fois, et c’est bon : je me le suis approprié. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

25Dans cet apprentissage, certains lecteurs s’efforcent de perpétuer leurs manières de lire héritées de la presse papier. Ainsi, Claire et Charles essaient de reproduire sur leur navigateur les habitudes de lecture issues du format papier :

« Ma lecture de la presse, c’est vraiment très méthodique : je vais aller sur Rue89, par exemple, je vais cliquer sur dix liens, j’ai tous mes petits onglets, et je les abats au fur et à mesure. » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

« Ce qui est important pour moi, c’est que le journal ressemble au journal papier, avec le même rapport, si les titres m’intéressent, et après, je lis l’article ou je le balaye. Je parcours tout. Il y a des choses qui ne m’intéressent pas forcément, mais dans ce processus, ça peut m’accrocher. Ça, je pense que c’est différent pour les jeunes. […] Mais pour mon quotidien, c’est important d’avoir quelque chose qui ressemble à un format papier. » (Charles, chercheur en sciences sociales retraité, 65 ans, équipé d’une liseuse)

26La perpétuation sur écran par une partie du lectorat des habitudes de lecture issues de la presse papier est d’ailleurs prise en compte. Ainsi, Le Monde essaie de revenir à un format plus classique :

« Le Monde vient de faire un truc génial – je ne comprends pas qu’ils n’aient pas plus communiqué dessus : il y a quinze jours, ils ont lancé le journal papier, mais dans un format spécifique pour les tablettes, donc c’est plus le papier stricto sensu sur lequel on peut zoomer, mais c’est un format complètement adapté à une lecture tablette avec une mise en page spécifique. Donc on a exactement le contenu du journal avec en plus du diaporama, de la vidéo, donc c’est un peu augmenté, mais rubriqué […]. Là, en revenant à ce format-là, on revient à ce qu’un quotidien essaie de faire tous les jours avec son journal, et je trouve que c’est vraiment intéressant, c’est vraiment un média ultramoderne sur lequel on se remet à lire comme sur le format papier, avec le plaisir de parcourir tout un enchaînement et de se laisser entraîner par l’enchaînement qui a été souhaité par le journal, et ça, je trouve que c’est très intéressant, c’est très agréable. Le fil conducteur m’intéresse. C’est agréable de se laisser guider par ce que la rédaction a voulu faire. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

27Ce retour de certains titres passés au format numérique à des formats plus classiques témoigne à la fois d’une pratique de lecture des médias numériques beaucoup moins stabilisée que l’utilisation de la radio et de la télévision ancrée dans les routines quotidiennes, et de l’existence de lignes de clivage marquées entre les internautes. Certains lecteurs se disent ainsi désemparés face à une presse numérique qui déstructure les temporalités et les manières de lire. Vanessa, graphiste, 40 ans, considère que le support numérique de l’information n’est pas propice à une lecture intensive :

« On ne lit pas de la même façon. On lit en diagonale, on a tendance à surfer, à naviguer d’un sujet à l’autre. On lit un truc qui nous intéresse, mais il y a un mot qui clignote, et on a tendance à aller vers les mots qui clignotent ! On est attiré par ça. Effectivement, j’ai peut-être besoin d’avoir la version papier pour avoir le sentiment de lire des articles de fond alors que sur le Net, j’ai tendance à surfer sans avoir une lecture maintenue. » (Vanessa, graphiste, 40 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse)

L’ouverture du traitement écrit de l’information à la concurrence des amateurs

Les réseaux sociaux et la diffusion de l’information

  • 11 Olivier Donnat, Florence Lévy, « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiqu (...)

28Si la plupart des enquêtés reproduisent « online » leurs pratiques « offline » en fréquentant surtout les versions internet des médias traditionnels, on peut supposer que cette pratique pourrait décliner avec les générations « digital natives », dont la socialisation à l’information écrite aura été plus marquée par le Web que par la presse papier11. Les plus jeunes et les plus « connectés » des lecteurs numériques considèrent ainsi les réseaux sociaux comme une source d’information légitime :

« En fait, j’ai arrêté d’acheter des magazines quand on a pu avoir les news en temps réel […]. En fait, les articles, il y a le truc viral aujourd’hui, c’est Facebook et compagnie, t’as quelqu’un qui met un article, donc tu vas le lire. » (Mathieu, vendeur high-tech, 30 ans, équipé d’une tablette)

29Pour ces lecteurs, l’agrégation de l’information par leurs différents contacts définit une « ligne éditoriale » qui se substitue à celle de la presse classique. Ils s’en remettent ainsi à des « contacts » auxquels ils accordent une crédibilité ou une expertise spécifique. Jérôme G., informaticien, trentenaire, explique :

« Je regarde ce qui se passe sur Twitter, et je regarde un peu sur Facebook aussi. La presse, j’y ai également accès par là : parmi les comptes que je suis, il y en a un certain nombre qui vont sortir un certain nombre d’articles de presse pertinents […]. Les personnes que je suis, ça va être des types de personnes assez diversifiés : sur Facebook, c’est un mélange d’amis, de connaissances et de connaissances professionnelles ; sur Twitter, ça va être des gens que je ne connais pas, mais qui publient un contenu qui me semble intéressant. » (Jérôme, chargé de projet TIC, 32 ans, équipé d’une tablette)

« J’utilise aussi Facebook comme source de liens, et du coup, ça varie un peu selon ce que les gens postent, ça diversifie les sources. Moi, je vais directement sur Le Monde et Rue89, un peu Libé des fois, et Facebook m’envoie vers d’autres voies ! » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

30Cet usage des réseaux sociaux comme source d’informations érode l’hégémonie de la presse traditionnelle. Les internautes accèdent à ce qu’ils estiment être « de l’actualité » et « des informations » via des sites qui n’ont pas nécessairement le statut d’organes de presse, ou qui ne sont pas composés de journalistes :

« Twitter, c’est devenu une sorte de concurrent du fil AFP, je pense. » (Jonathan, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette)

« Facebook, ça a vraiment été particulier pendant la révolution en Tunisie, ça a vraiment été la source d’informations […]. Le seul endroit pour avoir de l’information, c’était Facebook, il n’y avait pas d’autre endroit. C’étaient des choses du type : “Rendez-vous là.” Quand les milices de Ben Ali tiraient dans les rues, les gens disaient : “Ils sont là, ils sont là, ils sont rentrés dans tel quartier.” À ce moment-là, il n’y avait pas encore de presse, et maintenant, il y a une presse en Tunisie, mais à ce moment-là, c’était pas le cas, et les semaines qui ont précédé et suivi le départ de Ben Ali, y avait que ça. » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

  • 12 Les réseaux sociaux sont devenus une source d’informations pour les recruteurs et les services secr (...)
  • 13 Josiane Jouët, Coralie Le Caroff, « L’actualité politique et la participation en ligne », in Josian (...)

31Consulter, transmettre, voire produire de l’information sur les réseaux sociaux supposent à la fois une connaissance des propriétés de ceux qui la relaient ou la produisent, et un souci de sa propre mise en scène. « Poster » de l’information est, en effet, une prise de position qui classe l’émetteur, voire l’assigne à une « personnalité sociale » partiellement publique12 : les réseaux sociaux sont à la fois des outils de production d’informations et de publics13.

« Il y a rarement des photos de ma vie privée sur Internet, sauf si mes amis les postent. Je publie plutôt des humeurs et des avis personnels en lien avec la politique ou la musique. Je publie des vidéos, du son ou du texte. L’autre jour, il y avait le meeting d’Anne Hidalgo : j’ai live-twitté le meeting sans me poser de question : “Vers qui ça va ?” S’il y a des gens à qui ça ne plaît pas, ils se désabonnent de mon compte. » (Julien, collaborateur d’élu, 38 ans, équipé d’une tablette, lecteur professionnel en raison de son activité)

« Il faut aussi oser mettre un article, parce que des fois, t’as ni envie de donner tes opinions, ni envie de passer pour un idiot, t’es toujours très content quand quelqu’un en met. Les grands articles, je les lis que quand quelqu’un l’a proposé, peut-être parce que j’ai envie de connaître aussi pourquoi il a posté ça, de connaître mieux la personne, parce que c’est intéressant. » (Mathieu, vendeur high-tech, 30 ans, équipé d’une tablette)

32Mais si les réseaux sociaux sont devenus concurrents des titres de presse, ils n’abolissent pas pour autant les mécanismes qui conduisent à sélectionner telle ou telle source d’informations. L’actualité sur Internet ne modifie pas l’économie des intérêts et des goûts. Les informations online restent appréhendées selon les mêmes principes de classement que les informations offline : les classes supérieures déclarent s’intéresser aux genres informationnels les plus « nobles » (actualités économiques, politiques, internationales, registres de l’analyse et de l’expertise, etc.), et affichent leur désintérêt pour les informations « mineures » (actualités locales, faits divers, actualité « people », etc.). La méfiance s’impose face aux informations « virales » ou aux « buzz ».

« C’est vrai que cette starlette, j’en ai entendu parler il n’y a pas longtemps ! Parce qu’en effet, à force de boycotter les choses qui faisaient le buzz, je ne savais pas de quoi il s’agissait ! » (Vanessa, graphiste, 40 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse)

« J’ai eu une discussion avec une collègue qui me ramenait en voiture, qui a la même pratique que moi de ça. Elle dit : “Ce matin, j’ai allumé la radio, et j’ai entendu parler de cette starlette de la téléréalité.” Le mec faisait le commentaire : soit vous étiez sur la planète Mars, soit vous êtes complètement à la masse. Donc le soir, je suis arrivé, j’ai cherché ce que c’était. Par curiosité. Mais l’information n’était pas arrivée jusqu’à moi. Tout ce qui m’est envoyé par mes amis est très sélectionné, et eux-mêmes, je pense qu’ils ont vu ça par hasard, et ils se sont plutôt dit : “Qu’est-ce que c’est, ce truc-là ? Ah, OK. Sans intérêt…” » (Pierre, professeur de français, 32 ans, équipé d’une liseuse)

« C’est très rare, mais j’ai fini par aller la voir, cette vidéo de la dernière star de la téléréalité, et volontairement en plus ! Parce que je n’arrêtais pas d’en entendre parler et que j’ai fini par aller la voir. C’est extrêmement rare que je fasse ça. Je crois que j’ai dû aller chercher la vidéo sur Google parce que ça faisait une semaine que j’en entendais parler, mais je fais vraiment très rarement ça. Je ne surfe jamais, en fait. Non, c’est vraiment très méthodique. » (Claire, chercheuse en physique, 34 ans, équipée d’une tablette)

Les blogs plébiscités

33Le Web a contribué à relativiser la fonction de diffusion de l’information écrite de la presse. Souvent sans but lucratif, déconnectés des impératifs économiques, les blogs diffusent une information généralement perçue par les grands lecteurs numériques les plus connectés comme plus sérieuse et plus honnête que celle diffusée par la presse traditionnelle :

« En général, les blogs, c’est un peu plus sérieux. C’est plus développé dans les blogs que dans les médias traditionnels. Je regarde souvent les blogs que j’ai indexés sur mon téléphone par exemple. » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

« Par exemple, quand tu lis un article du Monde, c’est rachitique, le truc, t’as un pauvre truc AFP… Même les trucs plus poussés, c’est rachitique. En plus, j’ai un regard très critique sur le Monde. Par exemple, je lis Acrimed (Action Critique Médias), j’ai même produit un article pour eux. Donc je lis des études… des trucs de quelques pages, qui parleraient de la situation de la Grèce au regard de ce qui s’est passé… des trucs comme ça. » (Thierry, fonctionnaire des impôts, 32 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

« Je suis très critique sur les médias depuis longtemps. Ça fait quinze ans que j’ai pas de télé. Et c’est en grande partie à cause de journaux télévisés qui me mettent dans une rage pas possible. Donc c’est vrai qu’avant, j’étais plus journaux écrits. Avec mon mari, on s’était abonnés à un hebdomadaire – Le Nouvel Obs. Finalement, on a arrêté parce qu’on a trouvé ça beaucoup moins bien ces dernières années, beaucoup trop people, pas assez de recul… Du coup, je suis plus allée chercher l’info en ligne, je lis pas mal de blogs. » (Mélissa, informaticienne, 40 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse, technophile)

34Les blogs ne sont pourtant pas totalement autonomes par rapport au champ de l’information. La plupart relayent une information disponible sur les sites de presse numérique. Si leurs analyses sont souvent jugées plus pertinentes que celles de la presse, il n’est pas rare que les auteurs de blogs soient eux-mêmes journalistes, ou que la réputation d’un blog soit liée à celle d’un titre de presse classique qui le cite dans ses articles :

« Quand t’es sur des articles de presse, ils t’envoient eux-mêmes sur des blogs souvent. Et puis, des fois, des blogs très bien écrits. La dernière fois, il y en avait un génial sur la fermeture de Virgin, sur les “Tout à 50 %”. Et, en fait, cet article m’a vachement plu. En fait, les gens écrivent parfois très bien, mieux que les journalistes, et là, c’était vraiment poignant, t’en avais des frissons dans le dos à le lire. » (Mathieu, vendeur high-tech, 30 ans, équipé d’une tablette)

35Plus qu’une source d’information réellement autonome, les blogs privilégient un type d’écriture et de traitement de l’information basé sur l’analyse et un « point de vue particulier ». C’est ainsi que les blogs déteignent sur la presse classique. Selon Mary, critique littéraire dans un journal culturel national :

« On convoque souvent le journalisme gonzo, tu sais ce journalisme à la première personne. Or la pratique de la critique littéraire sur Internet a accentué et rouvert la voie à cette prise de parole à la première personne. D’ailleurs, ça a influencé dans un second temps la critique traditionnelle. En fait, c’est très simple : à partir du moment où tu crées ton blog pour dire ; “Moi, je, tout seul, et pas au nom d’un journal, je vais vous dire ce que j’ai pensé de ce livre et ce que je pense de telle affaire”, t’as pas d’autres choix que de dire “je”, alors que c’était une convention qui était tombée en complète désuétude dans la presse traditionnelle. À partir du moment où tu dis “je”, tu remets ta personne en avant, et ça, je crois que c’est très fort sur le lien que ça crée entre toi et le lecteur, l’internaute. Parce que ça te fait exister très fort. Tu n’es plus pris dans un collectif, une équipe, un journal. En fait, ça starifie le journaliste, l’éditorialiste. Alors qu’avant, dans un journal, pour faire entendre ta singularité… C’est déjà une singularité parmi d’autres singularités, et puis, tout le monde ne peut pas se le permettre… » (Mary, critique littéraire, 33 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse)

36De façon générale, les blogs et les sites qui ont vocation à traiter et analyser de l’information ne concurrencent pas directement les titres de la presse numérique traditionnelle. Qu’ils en adoptent les règles (financement par la publicité, traitement journalistique), qu’ils en émanent (blogs hébergés par eux) ou qu’ils soient relayés par eux (via des liens hypertextes), ces nouveaux médias ne s’autonomisent pas réellement par rapport au champ de la presse. Néanmoins, ils parviennent à agréger de nombreux lecteurs, ou à devenir des ressources pour la presse classique.

Les critiques de la transformation des normes de lecture

  • 14 Guillaume Le Saulnier, « La lecture de la presse en ligne – L’appropriation des contenus d’actualit (...)

37La numérisation dans le champ de la presse exerce des effets sur les formats et les standards de lecture, mais également sur le statut du lecteur et la représentation que s’en font les médias : selon Guillaume Le Saulnier, on serait passé du « lecteur » au « visiteur » et de la « page lue » à la « page vue14 ». Les contraintes économiques incitent les médias à attirer plusieurs fois par jour leurs lecteurs et à les faire naviguer le plus possible entre les différentes « pages » et rubriques. La valeur économique d’une actualité s’évalue désormais en fonction du nombre de « clics par page ».

38Cette logique propre à l’univers numérique n’est pas sans effets sur les grands lecteurs de presse. Si certains semblent développer des formes de dépendance aux médias, d’autres expriment leur rejet d’un traitement de l’actualité qu’ils estiment lacunaire et répétitif.

Les difficultés de la maîtrise des nouvelles règles de lecture de l’actualité : dépendance et addiction

39L’accès en continu à l’information permet de consulter aussi souvent qu’on le souhaite, sans aucune limitation, une masse d’informations qui donne la possibilité de suivre les événements ponctuant l’histoire du monde. Certains grands lecteurs de la presse numérique manifestent un sentiment de dépendance à l’égard de l’univers médiatique numérique, et décrivent des pratiques qui relèvent d’une forme d’addiction à l’information :

« C’est épouvantable. Moi, je perds un temps avec ça, incroyable […]. Ça amplifie des travers déjà bien installés là, je ne sais pas, des fois, il faudrait que je ferme l’ordinateur carrément ! D’ailleurs, si je veux vraiment travailler, il ne faut pas que je le laisse devant moi parce que sinon “pof”, je veux regarder, je jette un œil sur les dernières nouvelles du Figaro à 16 h 15, à 16 h 20… c’est ridicule quoi ! » (Michèle, chercheuse en sciences sociales retraitée, 65 ans, équipée d’une tablette)

  • 15 L’iPhone – premier smartphone à connaître un réel succès commercial – ne date que de 2007.

40De nombreux grands lecteurs de presse éprouvent le sentiment d’un manque de contrôle de leur pratique de lecture sur le Web. La banalisation de l’Internet mobile, des réseaux wifi, des smartphones et des tablettes15 favorise ces pratiques machinales, parfois compulsives, qui permettent d’occuper les « temps morts », d’occulter les préoccupations du moment, ou de rompre avec le rythme contraint de « l’emploi du temps » (professionnel ou domestique).

41Cet accès sans entraves transforme également les manières de consulter et de lire l’information. Quand ils évoquent leurs pratiques de lecture de l’actualité sur le Web, les lecteurs de presse parlent de « scanner rapidement les articles », de « balayer du regard », de « jeter un coup d’œil sur les gros titres ». La lecture de la presse numérique offre un prétexte à beaucoup pour une navigation de liens en liens, d’onglets en onglets, et pour une lecture superficielle qui a, vraisemblablement, avant tout une fonction d’évasion.

42Tout en la pratiquant, certains grands lecteurs perçoivent négativement cette manière de lire qui contrevient à des formes plus légitimes de lecture :

« Ce qui me fait peur, c’est qu’on a beaucoup plus de moyens de perdre son temps. Par rapport à la lecture, c’est là où c’est terrible. J’observe pour moi qu’il y a très peu de choses que je lis qui font partie d’une espèce de plan de lecture où je m’étais dit : “Tiens, je vais lire ces cinq livres parce que je vais apprendre des trucs, etc.” » (Damien, développeur de logiciels, 35 ans, équipé d’une tablette, technophile)

43Certains lecteurs – en particulier les plus jeunes – tentent de combattre leur tendance à « l’addiction numérique ». Gabrielle, par exemple, 28 ans, consultante en marketing numérique et technophile assumée, s’interdit tout appareil numérique dans sa chambre à coucher :

« J’ai quand même mis des règles : je n’ai rien d’interactif dans ma chambre, j’ai que des bouquins, ce qui est pour moi un peu compliqué. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de wifi. » (Gabrielle, consultante en marketing numérique, 28 ans, équipée d’une tablette et d’une liseuse, technophile)

44Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, a bloqué l’accès sur son ordinateur à un certain nombre de titres de presse qu’il consultait trop machinalement :

« Il y a un truc que j’ai oublié sur les stratégies que j’ai développées pour éviter de passer trop de temps sur l’info, un site comme Le Figaro par exemple : je sais que je vais y trouver les mêmes infos que sur Le Monde.fr ; du coup, je l’ai bloqué sur mon navigateur. Du coup, ça m’arrive d’y aller – sans même y réfléchir –, mais du coup, ça m’affiche une page qui me dit que je ne peux pas y accéder. Vous savez, on tape LEM, c’est Le Monde.fr, et LEF, c’est Le Figaro.fr, ça va vite, on ne réfléchit pas trop. » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

45Laurence, maître de conférences trentenaire, a supprimé son compte Facebook qu’elle considère responsable de trop de lectures inutiles :

« Ça me prenait du temps de lecture parce qu’il faut lire ce qu’écrivent les autres, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté Facebook, c’est que ça me faisait lire trop de merdes. Je lisais des choses intéressantes, mais le taux de conneries… normal sur ce genre de choses où il n’y a aucun filtrage, voilà, c’était plus possible. » (Laurence, chercheuse en lettres, 38 ans, équipée d’une liseuse)

46Alban, étudiant, explique qu’il a installé sur son ordinateur un logiciel qui lui permet de quantifier le nombre d’heures passées par logiciel et par site Internet, et d’objectiver ainsi son degré « d’addiction » en temps réel :

« Sur mon ordinateur, il y a un petit compteur qui me dit exactement combien de temps j’ai passé sur chaque site. Après, je sais si j’ai passé plus de temps à travailler ou à lire la presse. Et je stresse là-dessus. […] J’ai trouvé un compteur qui me dit exactement le temps que je passe sur chaque site ou sur Word, et ça classe les choses différentes que je fais en fonction d’une liste productive. » (Alban, étudiant, 22 ans, équipé d’une liseuse)

  • 16 Eliseo Verón, « L’analyse du “contrat de lecture” : une nouvelle méthode pour les études du positio (...)
  • 17 Valérie Devillard, Charlotte Dolez, Rémy Rieffel, « La consommation de l’information entre engageme (...)

47À s’en tenir à ces exemples, il semble que les pratiques ne soient pas stabilisées face au déferlement d’offres numériques d’informations et aux modifications du « contrat de lecture16 ». Chacun tente de mettre en place des stratégies plus ou moins élaborées pour y faire face. Les propriétés sociodémographiques classiques (âge, genre, CSP, degré de politisation) ne semblent pas suffire à rendre compte de ces comportements17. Dans le cadre de l’enquête menée, les publics « technophiles » les plus connectés, dont la profession est souvent liée au développement numérique, semblent être les plus capables de chercher rationnellement de l’information sur le Web. Damien, développeur de logiciels libres, 30 ans, explique avoir développé une discipline personnelle dans sa « navigation », qui repose sur une procédure logique :

« Je pense qu’on a à faire avec l’infobésité. L’infobésité, c’est quand t’as plus de réponses que de questions. Du coup, avant de lire un truc sur le Web, je me suis entraîné à écrire la question que je me pose. Et je me dis : “Je vais pas le lire si je me pose pas la question.” Parce qu’il y a curiosité et curiosité. 90 % de la curiosité sur Internet sert à rien. Il faut se dire : “Pourquoi j’irais voir cette page ?” J’essaie de plus en plus de me dire : “Tiens, qu’est-ce que je m’attends à apprendre sur cette page ?” » (Damien, développeur de logiciels, 35 ans, équipé d’une tablette, technophile)

48Benjamin, 56 ans, développeur de logiciels, explique avoir rationalisé sa lecture de la presse en la réservant à des moments ciblés et selon un protocole technologique précis :

« C’est très borné dans la journée. En pratique, cette appli, je l’ouvre tard le soir pendant que je fais ma sauvegarde. J’ai un rituel de fin d’activité pendant lequel je regarde mes flux RSS, et si j’ai des articles qui m’intéressent, je les marque, j’en lis certains tout de suite, et les autres, je les lis le lendemain matin. J’utilise pour cela la fonction des signets. » (Benjamin, développeur de logiciels, 56 ans, équipé d’une tablette, technophile averti)

49Cette rationalisation des pratiques ne s’oppose pas nécessairement à une lecture qui s’en remet au hasard pour la découverte (« serendipity ») caractéristique du numérique, mais peut, au contraire, être saluée comme une manière novatrice de s’informer.

50A contrario, les lecteurs numériques moins technophiles, qui considèrent l’informatique comme un outil et non comme une fin en soi, minorent souvent leur pratique de navigation au hasard, ou la présentent négativement comme un « passe-temps » et une « perte de temps. »

« Je sépare bien ces deux activités. Il y a l’activité dans laquelle on est en train de lire, on va chercher une info et on revient très vite au livre, donc on ne se laisse pas entraîner par sérendipité. Et il y en a une autre où, au lieu d’allumer la télé, je peux allumer l’ordinateur et me laisser entraîner à n’importe quoi, c’est ce qu’on appelle surfer. » (Guy, chercheur en linguistique retraité, 65 ans, équipé d’une tablette)

  • 18 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », op. cit.

51Diversifier les sources, chercher à en savoir plus, ou exercer un tri pour ne conserver que les informations jugées fiables et pertinentes semblent être désormais des pratiques distinctives dans la consultation de l’information18. L’expression d’une dépendance, sinon d’une addiction et, de façon plus générale, d’une « submersion » dans la confrontation aux médias numériques est peut-être l’indice d’un « réapprentissage » en matière d’information : de ce point de vue, les « technophiles » ont vraisemblablement un « temps d’avance ».

Une critique de la standardisation de l’information

52Les grands lecteurs de la presse numérique critiquent la « standardisation » de l’information. L’accès à un large spectre de titres en ligne permet, en effet, la comparaison et, ce faisant, l’observation de « la reprise » des informations. Sans doute la pratique existait-elle déjà dans la presse papier, mais elle était moins perceptible par des lecteurs fidèles à un ou deux titres.

« J’en ai marre d’avoir les mêmes trois phrases sur France Info, à l’AFP, Le Monde, puis… Je sais pas quoi, Le Nouvel Obs, etc. C’est toujours les trois mêmes phrases, il n’y a aucun approfondissement de l’information, c’est vrai, c’est affolant, on a l’impression que la presse est arrivée dans une espèce d’immédiateté, tout le monde répète la même chose. Des fois, on se dit : “C’est incohérent, c’est pas possible que ce soit comme ça que ça se passe.” » (Guy, chercheur en linguistique retraité, 65 ans, équipé d’une tablette)

« En même temps, je me méfie beaucoup de la presse, donc… Je la lis par amusement, mais il y a tellement de fausses infos ou des infos reprises quatre ou cinq fois, où, en fait, la source était mauvaise, de mauvaises interprétations, ou alors carrément de la manipulation, un peu exprès quoi, on montre ça et pas autre chose… » (Mathieu, vendeur high-tech, 30 ans, équipé d’une tablette)

« Si on regarde une nouvelle, elle va être reprise vingt-cinq fois par vingt-cinq médias différents de la même façon : L’Express, Le Monde, Le Figaro en tête. Et, honnêtement, là où je suis stupide, c’est que je vais retomber dessus dix fois […]. J’ai déjà eu les infos sur le Mouv’ le matin en cinq minutes. Il n’y a pas grand-chose de plus sur Le Monde.fr, et j’y vais quand même. » (Maxime, ingénieur informaticien, 28 ans, non équipé en tablette ni en liseuse)

53Selon une partie de ses lecteurs assidus, la presse numérique ne résiste pas à la comparaison avec la presse papier « d’autrefois » :

« C’est vrai que la façon dont l’information circule aujourd’hui n’est pas la même. Je me souviens, il y a trente ans, dans Le Monde, il y avait des vrais dossiers, systématiques. Là, on trouve un dossier sur ceci, un dossier sur cela. En gros, c’était ça l’image que j’avais : on pouvait écouter la radio pour avoir l’information brute, on lisait le journal le soir, on avait une information déjà nettement plus complète et, dans la semaine, on avait, soit avec un hebdomadaire, soit avec un journal qui reprenait une information approfondie. Et je trouve que ça, ça a disparu au profit d’un zapping permanent à la recherche de l’information la plus sensationnelle, sans trop réfléchir à ce qu’elle veut dire, mais de la part de tous les médias. » (Guy, chercheur retraité, 65 ans, équipé d’une tablette)

« La presse numérique qui ne ressemble pas du tout à la presse papier, c’est l’espèce d’organisation en flux continu. Le Monde papier, je l’achète ; une fois par jour, tu as un éditorial pour la journée. En revanche, le site, toutes les heures, ça bouge. En fonction de l’actualité, il y a une espèce de boulimie d’actu permanente… qui ne me paraît pas essentielle. » (Christian, chercheur en biologie, 50 ans, équipé d’une tablette)

54Certains lecteurs qui considèrent que la qualité de l’information prime sur le survol proposé par les médias numériques retournent à la presse papier :

« Dans mon espèce de retour à l’hygiène de lecture, c’est par là que j’ai commencé, j’ai recommencé à acheter le journal. J’achète Le Monde deux fois par semaine, le lundi et le jeudi pour avoir Le Monde de l’économie et Le Monde des livres, j’achète Les Inrocks et j’achète aussi La Revue des livres. » (Laurence, chercheuse en lettres, 38 ans, équipée d’une liseuse)

55Connaisseurs des standards de lecture numérique et ayant acquis un réel « sens pratique du Web » qui leur donne la capacité de repérer très rapidement les informations qu’ils cherchent, les lecteurs les plus technophiles expriment un jugement très positif sur la presse numérique :

« J’ai une série de flux RSS à différents niveaux, sur l’iPhone, sur le Mac. L’iPhone est plus orienté sur du concentré, un truc vraiment rapide. Si je n’ai pas le temps de faire autre chose, avec mon iPhone, dans le métro, j’ai un condensé qui peut me suffire. Si j’ai un peu plus de temps, les jours où je travaille ici, je vais commencer avec l’iPhone, et puis je continue sur le Mac pour compléter ça avec une application que j’utilise sur le Mac qui me permet de visualiser de façon transversale une somme d’informations beaucoup plus importante, c’est Net News Wire. L’intérêt de cette application, c’est qu’elle communique avec le navigateur, je vois peut-être deux cent cinquante ou trois cents flux. Je vais voir combien il y a de nouveaux articles dans chaque flux, je les affiche, je vois combien j’ai d’articles non lus dans un flux et je clique, je descends dans les flux, je vois transversalement les titres des articles non lus, et donc je balaye pour voir si quelque chose m’intéresse. Et sur les deux cent cinquante ou trois cents flux, je peux y passer une heure si j’ai le temps, je peux en lire zéro quand je n’ai pas le temps. » (Benjamin, développeur de logiciels, 56 ans, équipé d’une tablette, technophile averti)

  • 19 Valérie Devillard, Charlotte Dolez et Rémy Rieffel distinguent ainsi deux types de lecteurs : ceux (...)

56Les critiques à l’égard de la presse numérique et le maintien des standards de lecture de la presse papier sont en partie liés à la connaissance des standards numériques et à l’aptitude à les manipuler19. L’enquête « Mediapolis » (CEVIPOF, 2009) montre ainsi que la majorité des lecteurs de presse numérique survole superficiellement des titres du fait de la méconnaissance des outils et des difficultés éprouvées pour se repérer dans un flux massif d’informations.

« Ce flux continu, ce n’est pas possible, ce n’est pas intéressant, et puis, c’est complètement faux. Il ne faut pas les écouter, on ne peut pas… C’est le danger, je ne sais pas si c’est le danger de l’information numérique ou le danger de notre époque où tout va trop vite, mais c’est sûr que l’informatique est responsable de la vitesse. » (Jacqueline, médecin retraitée, 65 ans, équipée d’une liseuse)

  • 20 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », op. cit.

57Ces critiques procèdent également du rapport spécifique des grands lecteurs à la parole journalistique. Alors que les membres des classes populaires marquent leur extériorité à l’égard des médias, ceux des classes supérieures – surreprésentées dans notre corpus – s’approprient le discours médiatique en l’intégrant à leurs propos, s’autorisant ainsi à confronter leur point de vue à celui des journalistes dont ils se sentent socialement proches20.

58De même que les critiques de la répétition des informations procèdent de la navigation d’un titre à l’autre, celles du caractère lacunaire des articles sont rendues possibles par la comparaison du traitement de la même information par différents auteurs. Par ailleurs, le développement du Web social a fait émerger des agents et des institutions qui viennent concurrencer la presse traditionnelle étendant ainsi l’offre de lecture, de sorte que les usages de l’information numérique restent aujourd’hui très divers, comme le montrent les expériences plutôt contradictoires de Mathieu et Jérôme, trentenaires, informaticiens et technophiles « très connectés » :

« Parce qu’en fait, le problème d’Internet, c’est que, comme tu peux choisir, tu peux vraiment t’enfoncer, tu peux être monomaniaque très vite. Tu peux aller creuser ton sujet, être toujours sur les mêmes trucs, plutôt que d’aller t’intéresser à des choses. C’est un peu pareil là-dessus : le choix de contenu, parfois, c’est un peu à double tranchant. Plus tu choisis, moins tu es curieux en fait. » (Mathieu, vendeur high-tech, 30 ans, équipé d’une tablette)

« Quand tu surfes sur Internet, tu n’es pas forcément super réactif. En tout cas, t’as tendance à beaucoup divaguer. Moi, je fonctionne comme ça, je lis un article, et souvent, tu vas voir un renvoi, etc. Tu rebondis sur d’autres choses assez facilement, c’est l’empire de la digression. Tu voulais lire un truc, et tu te retrouves à en avoir lu cinquante autres. » (Jérôme, chargé de projet TIC, 32 ans, équipé d’une tablette)

Note

1 Enquête Mediapolis, « Information politique et citoyenneté à l’ère numérique », sous la direction de Thierry Vedel, CEVIPOF, 2009.

2 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », in Josiane Jouët, Rémy Rieffel (dir.), S’informer à l’ère numérique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.

3 Fabien Granjon, Aurélien Le Foulgoc, « Les usages sociaux de l’actualité. L’expérience médiatique des publics internautes », Réseaux, n° 160-161, 2010.

4 Viviane Le Hay, Thierry Vedel, Flora Chanvril, « Usages des médias et politique : une écologie des pratiques informationnelles », Réseaux, n° 170, 2011.

5 Les « Digital Rights Management » (DRM) sont les mesures techniques de protection qui ont pour objectif de contrôler l’utilisation qui est faite des œuvres numériques. Ces dispositifs peuvent s’appliquer à tous les types de supports numériques physiques (disques, DVD, Blu-ray, logiciels, etc.) ou de transmission (télédiffusion, services internet, etc.) grâce à un système d’accès conditionnel. Les lecteurs-informaticiens ont quasiment tous évoqué leurs pratiques de « crackage » des livres numériques afin de pouvoir en disposer librement (classement, partage).

6 Eliseo Verón, « L’analyse du “contrat de lecture” : une nouvelle méthode pour les études du positionnement des supports de presse », Les médias : expériences, recherches actuelles, applications, Paris, IREP, 1985.

7 À l’exception notoire du Canard enchaîné, tous les grands organes de presse français ont développé un site de presse en ligne.

8 À propos de la télévision, Bernard Lahire évoque la manière dont certains téléspectateurs « cultivés » en viennent à décrire leur usage de la télévision en termes de « vice » ou d’« addiction » dont on cherche à se défaire (Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004).

9 Selon les recommandations de la Cnil, l’utilisation d’Internet au travail à titre personnel ne doit pas se faire au-delà d’un délai raisonnable, et les sites consultés ne doivent pas avoir un contenu contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs (rapports de la Cnil, mars 2001 et février 2002). Dans un arrêt du 20 novembre 2013, la cour d’appel de Rennes a déclaré justifié le licenciement pour faute grave d’un salarié dont la connexion sur Internet et divers réseaux sociaux pour se livrer à une passion personnelle dépassait 20 % de son temps de travail.

10 Starlette issue de la téléréalité qui a connu, pendant quelques mois en 2013, une notoriété relativement grande.

11 Olivier Donnat, Florence Lévy, « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques », Culture prospective, n° 3, 2007.

12 Les réseaux sociaux sont devenus une source d’informations pour les recruteurs et les services secrets des États (voir le scandale de l’espionnage de masse de la NSA).

13 Josiane Jouët, Coralie Le Caroff, « L’actualité politique et la participation en ligne », in Josiane Jouët, Rémy Rieffel (dir.), S’informer à l’ère numérique, op. cit.

14 Guillaume Le Saulnier, « La lecture de la presse en ligne – L’appropriation des contenus d’actualité au défi de la technique », in Josiane Jouët, Rémy Rieffel (dir.), S’informer à l’ère numérique, op. cit.

15 L’iPhone – premier smartphone à connaître un réel succès commercial – ne date que de 2007.

16 Eliseo Verón, « L’analyse du “contrat de lecture” : une nouvelle méthode pour les études du positionnement des supports de presse », op. cit.

17 Valérie Devillard, Charlotte Dolez, Rémy Rieffel, « La consommation de l’information entre engagement professionnel et implication civique », in Josiane Jouët, Rémy Rieffel (dir.), S’informer à l’ère numérique, op. cit.

18 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », op. cit.

19 Valérie Devillard, Charlotte Dolez et Rémy Rieffel distinguent ainsi deux types de lecteurs : ceux qui ont un usage conventionnel, c’est-à-dire qui reproduisent online leurs habitudes offline, et ceux qui ont un rapport très soutenu à l’Internet. « Très connectés », ces derniers ont un rapport à l’information lié au Web (« La consommation de l’information entre engagement professionnel et implication civique », in Josiane Jouët, Rémy Rieffel (dir.), S’informer à l’ère numérique, op. cit.).

20 Jean-Baptiste Comby, « L’orientation sociale des goûts en matière d’actualité », op. cit.

Indice delle illustrazioni

Titolo Part des lecteurs quotidiens de la presse
Legenda Source : Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, ministère de la Culture et de la Communication / La Découverte, 2009.
URL http://books.openedition.org/bibpompidou/docannexe/image/1879/img-1.jpg
File image/jpeg, 73k

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