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Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne

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Édith Peytremann

Troisième partie. Varia

Conclusion

Joëlle Burnouf

Texte intégral

1Ces 33èmes journées d’Archéologie mérovingiennes de l’AFAM, organisées à Strasbourg du 28 au 30 septembre 2012 par l’ensemble des acteurs de l’archéologie en Alsace de manière interinstitutionnelle : AFAM, Inrap, PAIR, DRAC Alsace, CG 67, Région Alsace, Musées de Strasbourg, a été l’occasion, comme c’est la tradition bien établie de l’AFAM, de réfléchir collectivement sur un thème retenu par les organisateurs d’une part, et de présenter d’autre part les découvertes récentes du premier Moyen Âge.

2Le thème de l’année 2012 était « Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne : territoire fluvial et société au premier Moyen Âge (ve -xiie siècle) ». Le programme des journées d’archéologie mérovingienne invitait les participants à réfléchir sur « les territoires de l’eau ». Le sujet, vaste, a rassemblé treize communications : huit sur l’espace français, quatre sur l’espace européen, une synthèse ouest-européenne. Les fleuves et rivières évoqués dans les communications présentées couvrent l’espace européen : le Rhin (2), la Seine, le Cher (affluent rive gauche de la Loire), la Meuse, le Brivet (affluent rive droite de l’estuaire de la Loire), la Charente, le Main et le Neckar, les rivières de Bavière, les espaces d’interfluves de Bourgogne, de Franche-Comté, du Rhin/Danube/ Mer du Nord. Toutes les communications ne portent pas sur les fleuves stricto sensu ou les aménagements de berges mais également sur les espaces d’interfluves et de limites de bassin versant. Pour comprendre les avancées de la recherche sur cette question, il faut examiner ce qui a été une véritable révolution épistémologique : la géographicité de la documentation archéologique.

Géographicité de l’archéologie

3Pendant longtemps la double formation en histoire et en géographie fut le passage obligé des formations académiques en France, spécialement dans les filières universitaires qui préparaient aux concours de l’enseignement (l’enseignement du binôme histoire-géographie étant la règle), mais en ce temps-là l’archéologie émargeait plus souvent aux formations en histoire de l’art. Cette remarque vaut pour l’archéologie des périodes historiques (au sens large) puisque l’archéologie de la préhistoire, elle, avait une histoire commune depuis l’origine avec les sciences de la vie et de la terre. Les choses vont bouger dans les années 70 : désormais les jeunes chercheurs pourront s’orienter vers un travail de thèse sans passer par la formation académique et faire de l’archéologie quelle que soit leur formation initiale, et c’est aussi dans ces années-là que commence ce qui était alors nommé « l’archéologie de sauvetage ». Il a fallu une bonne vingtaine d’années pour que les modalités de la relation avec la géographie changent complètement.

4Pour simplifier, on peut dire qu’archéologues et historiens ont ainsi, pour les périodes historiques, découvert la « géographicité » de l’archéologie. Ils ont aussi bénéficié (et revisité) les acquis scientifiques des études sur la préhistoire. Passant du « monument » aux « structures », ils se sont intéressés aux sédiments qui « emballaient » ces structures ; non que les sédiments fussent ignorés : la stratification était étudiée, mais plus sous l’angle de la stratigraphie que de l’étude des sédiments en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Quant à l’analyse spatiale, elle était encore pratiquée selon les canons de la « géographie historique » dont le succès dans chacune des familles ne se démentait pas depuis plus d’un siècle.

Le sédiment matière d’histoire

5Il a fallu que quelques courageux réussissent à convaincre chercheurs et laboratoires (qui travaillaient surtout pour la préhistoire) que les périodes historiques étaient dignes d’intérêt même si plus complexes à démêler en raison de l’imbrication des actions et rétroactions respectives des sociétés et des milieux. Il a fallu que l’archéologie (désormais nommée « préventive ») apporte la preuve par l’espace (fouillé) que ce que l’on appelait alors « les grands décapages » nécessitait une autre approche des sédiments que la simple observation verticale (stratigraphique). « L’emballage » (sédiment) et le « hors site » portaient plus d’informations sur les relations des sociétés avec les milieux que le site lui-même. Il a fallu encore que soit statistiquement démontré qu’il y avait des vestiges archéologiques partout (toutes périodes confondues) pour que soit admis le fait que l’espace et surtout l’échelle d’observation (la bonne échelle) de l’espace soit matière d’histoire.

6Les archéologues, ces « travailleurs de la terre », se sont alors associés aux quelques volontaires (géographes mais aussi géologues : l’histoire de ces deux familles est une autre histoire) pour construire un dialogue interdisciplinaire sur le même objet d’étude: les invisibles de l’histoire. Ce ne fut pas simple car le moule disciplinaire et l’épistémologie des disciplines conduisait soit à l’indifférence, soit à des échecs : il fallait accepter de connaître a minima la discipline sollicitée (donc de s’y former), accepter les limites de chacun, créer les procédures, les protocoles puis les outils de la recherche, apprendre à poser les bonnes questions à la bonne échelle. C’est dans cette ambiance d’effervescence intellectuelle que sont nées la géo-archéologie, l’archéo-géographie, l’archéologie environnementale. Il faut dire aussi que les uns comme les autres devaient se déprendre des « grands récits » comme ceux par exemple « du mythe » braudélien qui a enchanté des générations de chercheurs avec sa vision romanesque et ternaire de l’histoire des sociétés. La vision stratigraphique confortable et rassurante pour toutes les disciplines mais on le sait aujourd’hui fausse, des temporalités.

Fleuves et vallées

7Cet angle d’approche marque le succès des travaux accomplis depuis une trentaine d’années par les différentes disciplines à l’œuvre autour des « chemins de l’eau », du plus petit, le ruisseau, aux plus importants, les grands fleuves européens. Les travaux rassemblés dans cet ouvrage s’inscrivent dans les productions scientifiques de synthèse nombreuses qui sont parues depuis une petite décennie (et pour le dernier en date, voir Carcaud-Fassetta, 2014).

8Plusieurs idées ont enfin conquis l’ensemble des domaines de recherche, dont les concepts d’hydrosystème, de Bassin versant, de « chemins de l’eau », de « zones humides », qui ont conduit à revisiter nombre de données à différentes échelles pour comprendre la co-évolution des sociétés et des milieux sur la longue durée. L’archéologie a acquis dans ces recherches une place importante, non pas comme « chronomètre » pour le passé en raison des enregistrements sédimentaires conservés dans les vallons et les vallées, mais de la dialectique entre les occupations des terrains par les sociétés interstratifiées avec les sédiments des fleuves et des rivières ainsi que les travaux mis en œuvre par les sociétés pour exploiter ces milieux mobiles et s’adapter ou contraindre leurs fonctionnements.

9Indirectement ou directement ces études sur les « territoires de l’eau » induisent une nouvelle réflexion sur les interfluves, les limites de bassins versants et les lignes de partage des eaux, leur organisation spatiale et la gestion de ces espaces par les sociétés. Les vallées ne sont pas seulement des lieux de passage, des axes de circulation mais également des pôles attractifs pour les sociétés rurales et urbaines. Ce sont des « réservoirs » de biodiversité, des gisements de matières premières et surtout l’eau est encorepour longtemps au premier Moyen Âge LA source d’énergie, comme le montrent les savants travaux d’hydraulique mis en œuvre par ces sociétés.

10Le déclenchement des fouilles archéologiques est déterminé par l’existence d’un « gisement archéologique » : c’est donc l’entrée par les « vestiges » archéologiques qui conduit à la réalisation d’une fouille. Mais dans les territoires fluviaux ces vestiges nécessitent une bonne compréhension du fonctionnement des hydrosystèmes. Ce sont des lieux d’aménagements : ports, aménagements de berges, franchissements ; des lieux d’exploitation : pour la pêche, la navigation, la circulation ; des lieux de vie et de travail : habitats, stockage et transformation.

11Les recherches sur le milieu fluvial sont désormais bien établies dans la communauté des chercheurs depuis plus de quarante ans. Une synthèse récente (Carcaud-Fassetta, 2014) fait le point sur les acquis de la recherche sur les différents espaces. La communauté scientifique, interdisciplinaire, s’est patiemment construite autour de cet objet de recherche et le nombre des travaux est désomais important, y compris en termes académiques (thèses et HDR). Les anciens déterminismes ont été peu à peu battus en brèche au regard des découvertes et des nouvelles interprétations.

Petite échelle et longue durée

12L’idée encore parfois exprimée selon laquelle le système fluvial ne bouge plus depuis des millénaires est aujourd’hui totalement abandonnée. Le système formé par le fleuve et la vallée est un système mobile. Cette mobilité a lieu à un pas de temps différent de celui de l’action des sociétés ; toutefois l’apport des recherches a été de démontrer que depuis près de 3000 ans l’action des sociétés a induit des contraintes surles systèmes fluviaux qui ont entraîné la réaction de l’hydrosystème, avec une résilience qui ne peut être comprise que sur la longue durée.

13Les sociétés du premier Moyen Âge « héritent » d’un état des systèmes construit par les sociétés antérieures et quelquefois depuis fort longtemps : ainsi le colmatage par apport des sédiments de secteurs de vallées est la conséquence de l’érosion des sols par les pratiques agricoles entamée dès le Néolithique et surtout aux Âges du Bronze et du Fer. Le premier Moyen Âge connaît une période de dégradation du climat au vie siècle, caractérisée par d’importantes précipitations et des crises hydrologiques liées à des variations de la pluviosité et de l’humidité, et autour de 800 des changements liés à des phénomènes extrêmes (volcanisme en Islande et tsunami dans la Mer du nord). Les fleuves et les rivières sont donc affectés par ces changements et les sociétés sont contraintes par les nouvelles conditions de vie et d’exploitation des milieux fluviaux. Quand de surcroît, le comportement du fleuve change en raison d’une hydrologie plus active (plus de précipitations donc plus d’eau sur une certaine durée, épisodes orageux violents, etc.), le tracé du fleuve lui-même peut être durablement affecté et il peut y avoir changement du cours et déplacement du lit mineur, comme ce fut le cas à Jargeau où, par recoupement de méandre, l’agglomération médiévale a changé de rive (Castanet, 2008). Les tracés abandonnés de l’ancien lit du fleuve (ou paléotracés) sont alors des terrains d’études privilégiés (Castanet, 2014). Outre les tracés « linéaires », les confluences entre rivières et fleuves (ou carrefours potamiques) sont des espaces de grande mobilité. Les sociétés les ont intensément investis de leurs aménagements (comme le montre dans ce volume l’étude de la confluence Meuse/ Hoyoux : Peters, Bernardy de Sigoyer) et ce sont des lieux particulièrement exposés en temps de changements de régime hydrologique.

14Les artefacts mis au jour dans les sédiments permettent aussi d’interroger le fonctioinnement des fleuves et rivières et parmi eux les vestiges de pêcheries (comme celles de Saint-Victor et Vaux sur le Cher, cf. Troubat), les épaves (comme celles du Brivet et de la Charente à Port d’Envaux, cf. Moyat et aliï) et les moulins. L’étude de ces objets permet d’évaluer les modes de transport et d’approcher le régime fluvial. Ces constructions, en bois, présentent en outre l’avantage d’obtenir un précieux et précis calage chronologique grâce aux analyses dendrochronologique et dendrologique des bois. Elles permettent aussi de comprendre les aménagements mis en place pour contraindre le chemin de l’eau, comme les canalisations, endiguements et batardeaux pour les moulins.

15Les techniques mises en œuvre pour franchir les fleuves permettent aussi de mieux comprendre son fonctionnement : gué sur les barres et hauts-fonds, bacs et ponts dont la localisation d’abord, les vestiges (en bois ou bois et pierre) ensuite permettent de préciser l’emplacement du trait de rive (berge) au moment où ces infrastructures étaient en usage.

16À plus petite échelle, celle des espaces régionaux et interrégionaux, il apparaît clairement désormais que quelle que soit la période, a fortiori celle du premier Moyen Âge, jamais les rivières ni les fleuves n’ont constitué « des frontières » mais bien au contraire des vecteurs de mobilité des hommes et de leurs productions. Ce sont les idéologies triomphantes du xixe siècle qui avaient forgé le concept erroné de « frontières naturelles » ; l’archéologie a fait raison de cette idée. Il est vrai que la documentation écrite aurait pu induire en erreur : les producteurs de cette documentation ayant intérêt à la diffusion de telles idées. Ce type de documentation ne peut être utilisé qu’à la condition non seulement d’une sévère et vigilante critique mais aussi dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire comme ce fut démontré lors de ce colloque par l’exemple de Paris du Ve au Xe siècle. Le texte, quand il parle de l’espace, de la topographie, quand il nomme, ne le fait pas à la bonne échelle d’analyse. Il convient donc de rapporter l’information à l’échelle des autres documentations (iconographique, archéologique, planimétrique) à peine de contresens, ce que seule la discussion critique entre disciplines permet.

17Ce colloque, comme tous ses homologues, a non seulement permis de mettre en regard les expériences des uns et des autres sur l’ensemble de l’espace européen, mais aussi de confronter les types de documentation et surtout, et ce n’est pas là la moindre de ses qualités, d’ouvrir des pistes de recherche fécondes. Dans l’ambiance si confraternelle et conviviale des rencontres annuelles de l’AFAM, qui ne se dément pas depuis des décennies, heu d’éveil de vocations et de discussions toujours ouvertes, on peut sans trop de risque prédire que la thématique 2012 aura permis une fois encore d’ouvrir un nouveau et grand chantier pour la période du premier Moyen Âge.

Bibliographie

Bibliographie

Carcaud N., Arnaud-Fassetta G., 2014, La géoarchéologie française au xxie siècle, Paris, CNRS éd., 311 p.

Castanet C., 2008, La Loire en val d’Orléans : dynamiques fluviales et socioenvironnementales durant les derniers 30000 ans : de l’hydrosystème à l’anthroposystème, Thèse de doctorat de l’Univ. de Paris I, sous la dir. de J. Burnouf et de M. Garcin, Paris, 451 p.

Castanet c., 2014, « 4 journées de Restitution en Région des Résultats de la Recherche sur les formes anciennes de l’hydrosystème ligérien », www.calameo.com/books/000612478 b81625e8ecd8

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